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ou de modification humorale. Plus tard, quand la conception de la manie intermittente est acquise, la maladie de Charles VI paraît rentrer tout entière dans ses cadres. Mais un examen plus détaillé des textes et, d’autre part, l’impulsion donnée à la conception nosologique de la confusion mentale par les travaux de Chaslin, de Séglas et de Régis ont modifié ces conclusions et permis de rendre un compte plus exact de certains symptômes, qui échappaient au tableau clinique ordinaire de la manie périodique. Chacun de ces diagnostics, appliquant à la solution d’un même problème nosologique les progrès les plus récens de la science médicale, représente, au cours de l’évolution des doctrines, un moment de l’histoire de la Psychiatrie. A mon tour, je me propose, dans cette étude, d’apporter des conclusions plus précises et plus rigoureuses sur l’affection du Roi, d’après les données plus complètes et plus solidement établies de la psychiatrie contemporaine. En même temps, ce travail sera pour nous l’occasion de constater, une fois de plus, les variations et l’incertitude des documens, la difficulté de l’interprétation des faits, même à la lumière des notions scientifiques acquises, et l’intérêt de la critique du témoignage.


VII. — DISCUSSION DES TÉMOIGNAGES. ÉTUDE CLINIQUE

La première indication d’ordre pathologique que contienne l’histoire de Charles VI se rapporte à, l’affection qu’il présenta, en avril 1392, à Amiens. Lors de son passage dans cette ville, à vingt-quatre ans, le jeune monarque fut atteint d’une maladie fébrile, épidémique, compliquée de troubles cérébraux (chaude maladie, fièvre chaude) qui semble avoir duré au plus six semaines, et dont la convalescence fut remarquable par sa longue durée et par des troubles profonds de nutrition (chute des cheveux et des ongles). Cet ensemble de caractères autorise, selon l’opinion, d’ailleurs trop affirmative, de Brachet, à rapporter les accidens à la fièvre typhoïde.

C’est au déclin de cette convalescence traînante que Charles V1, malgré son entourage et ses médecins, entreprit l’expédition contre le duc de Bretagne. Cette résolution, à laquelle le Roi s’obstina sans raison et dans des conditions défavorables, apparaît déjà comme un acte pathologique, et on peut avancer qu’elle se range parmi les manifestations prodromiques (euphorie,