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une expédition pour se venger du duc de Bretagne, qui refusait de lui livrer Pierre de Craon, auteur d’une tentative d’assassinat contre le connétable Olivier de Clisson. Du 1er  au 5 août, dès le début de cette chevauchée, le Roi, dit le Religieux, avait commencé à donner des signes d’altération mentale « par des propos insensés et des gestes indignes de la Majesté royale. » Il fut obligé de se reposer plusieurs jours au Mans. « Il mangeoit petitement, raconte Froissart, à peine comme riens, et ne faisoit que penser et busier… Mais il s’en alloit de si grand voulenté que il disoit qu’il estoit en assez meilleur point qu’il ne fust. Et pour la grant affection qu’il avoit d’aller en Bretagne, il disoit : « Qui me conseille le contraire, il ne me conseille pas à ma plaisance, et si ne m’ayme pas bien. »

Le 5 août 1392 survint l’épisode classique de la forêt du Mans.

Le Religieux de Saint-Denis qui, à ce moment, « était au camp, » raconte la scène en ces termes :

« Le 5 du mois, malgré les représentations de ses oncles et de ses parens…, le Roi sortit de la ville, armé de pied en cap, à la tête de ses troupes. Mais à peine était-il arrivé jusqu’à la léproserie, qu’un misérable, couvert de haillons, vint à sa rencontre et lui causa une vive frayeur. Malgré les efforts qu’on fit pour éloigner cet homme par les menaces et la terreur, il suivit le Roi pendant près d’une demi-heure, en criant d’une voix terrible : « Ne va pas plus loin, noble Roi, car on te trahit ! » L’imagination du Roi, déjà troublée, lui fit ajouter foi à ces paroles et un nouvel incident acheva d’égarer ses esprits. Un des hommes d’armes qui chevauchaient à ses côtés, se trouvant trop pressé dans la foule, laissa tomber à terre son épée. Au bruit du fer, le Roi fut saisi tout à coup d’un accès de fureur ; dans son égarement, il tira son épée du fourreau et tua cet homme. En même temps il donna de l’éperon à son cheval et, près d’une heure entière, il fut emporté de côté et d’autre avec une extrême rapidité, en criant : « On veut me livrer à mes ennemis ! » et en frappant ses amis aussi bien que les premiers venus. Tout le monde fuyait devant lui comme devant la foudre. Pendant cet accès de fureur, le Roi tua quatre hommes, entre autres un fameux chevalier de Gascogne, nommé de Polignac, qui était bâtard. Il aurait causé de plus grands malheurs encore, si son épée ne se fût brisée. Alors on l’entoura, on l’attacha sur un