Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le champ de bataille. Os personnes, voyant combien j’hésite à croire que de tels actes puissent être exercés par des Français contre des Français, m’ont dit ne parler qu’après des renseignemens certains. Je pars de là, monsieur le Président, pour appeler votre attention sur un fait aussi grave, qui peut-être ne vous est pas connu, et pour vous prier instamment devoir ce qu’il y aurait à faire dans des conjonctures aussi douloureuses. Si une enquête forçait à dire qu’en effet d’atroces excès ont ajouté à l’horreur de nos discordes fratricides, ils ne seraient certainement que le résultat d’emportemens particuliers et tout individuels. Néanmoins, il est possible peut-être d’en prévoir le retour, et j’ai pensé que vous pouviez plus que personne prendre à ce sujet des mesures efficaces.

« Personne ne trouvera mauvais qu’au milieu de la lutte actuelle, étant donné le caractère qu’elle a revêtu dans ces derniers jours, j’intervienne auprès de tous ceux qui peuvent la modérer ou la faire finir. L’humanité, la religion me le conseillent et l’ordonnent. Je n’ai que des supplications ; je vous les adresse avec confiance. Elles partent d’un cœur d’homme qui compatit depuis plusieurs mois à bien des misères[1]. Elles partent d’un cœur français que les déchiremens de la patrie font douloureusement saigner. Elles partent d’un cœur religieux et épiscopal qui est prêt à tous les sacrifices, même à celui de sa vie, en faveur de ceux que Dieu lui a donnés pour compatriotes et pour diocésains. Je vous en conjure donc, monsieur le Président, usez de tout votre ascendant pour amener promptement la fin de notre guerre civile et, en tout cas, pour en adoucir le caractère autant que cela peut dépendre de vous. »

L’archevêque ajoutait en post-scriptum : « La teneur de ma lettre prouve assez que je l’ai écrite sous la communication qui m’a été faite ; je n’ai pas besoin d’ajouter que je l’ai écrite, non seulement en dehors de toute pression, mais spontanément et de grand cœur. »

L’infortuné prélat avait ajouté foi aux paroles et aux propos de ses geôliers, et c’était vraiment en toute sincérité et en toute générosité d’âme qu’il implorait pour leurs partisans une pitié et une clémence que ceux-ci n’allaient pas avoir pour lui. De son côté, l’abbé Deguerry, sollicité également d’intervenir,

  1. L’archevêque était resté à Paris pendant le siège à son poste où il avait exercé le rôle le plus courageux et le plus charitable.