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allait se reproduire avec plus d’intensité quelques semaines après, sous le gouvernement de la Défense nationale, au 31 octobre. L’ancien combattant de Juillet, le conspirateur acharné du règne de Louis-Philippe qui avait été condamné à mort, puis, par une commutation de peine, à la détention perpétuelle, l’émeutier de 1848, le transporté de Corte et de Mascara, le prisonnier de Sainte-Pélagie, l’amnistié de la seconde République et de l’Empire, celui qu’on appelait « le Vieux de la Montagne, » n’était pas guéri de cette maladie insurrectionnelle qui en faisait un être à part et lui donnait sur la foule crédule et turbulente une autorité immense. Son journal, organe révolutionnaire des clubs socialistes, demandait l’institution de la Commune, l’indépendance du pouvoir communal affranchi de toute autorité gouvernementale, la suppression de tous les cultes, l’enrôlement des prêtres, l’affectation des temples, églises et synagogues à des services communaux, l’arrestation des suspects, la révélation des richesses dissimulées, le partage des propriétés.

Le 14 septembre, Blanqui avait été élu à Montmartre chef du 169e bataillon de la Garde nationale. Au 31 octobre qu’il inspira et dirigea, il avait été, pendant quelques heures, le maître du mouvement révolutionnaire organisé en face de l’ennemi, et avait ordonné l’arrestation des membres du gouvernement qui, sans l’action énergique d’Ernest Picard et du 17e bataillon de la Garde nationale, secondée par Jules Ferry et les mobiles bretons, eût été perdu. Que serait devenu Paris assiégé par les Prussiens ? Il est facile de le deviner, car cette insurrection, que M. de Bismarck avait si sûrement prédite, arrivait à l’heure propice pour permettre à l’étranger d’imposer à la France un joug encore plus dur que celui qu’elle subit trois mois plus tard. Blanqui, qui était sorti de l’Hôtel de Ville au bras du général Tamisier, fut décrété d’arrestation avec les principaux chefs de la Commune naissante, sur les ordres de M. Cresson, préfet de police ; mais il y échappa. « Une prime énorme, dit M. Cresson, avait été promise pour l’arrestation de Blanqui, de Millière et de trois ou quatre autres personnages, et j’ai toujours eu le chagrin de ne pas la payer. » Blanqui reprit la direction de la Patrie en danger jusqu’au 8 décembre 1870, époque à laquelle le journal, faute de clientèle et d’argent, dut cesser sa publication. Après l’armistice, Blanqui parvint à se retirer dans le Lot chez une de ses sœurs, puis dans le Midi pour soigner sa santé ébranlée, mais