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ne tient pas debout contre ce fait précis. L’Assemblée Nationale n’a connu la mort des otages que le 28 mai, et jusqu’à ce moment, tout le monde espérait encore leur salut. La résistance furieuse des insurgés et les incendies de Paris ont seuls donné, dès les premiers jours de l’entrée des troupes, une acuité plus violente à la répression. « Il est certain, ajoute M. Rochefort, que le décret dit des otages n’aurait jamais été voté, si les fédérés, faits prisonniers de guerre, n’avaient pas été fusillés sans pitié par les troupes versaillaises. Ce décret funeste, auquel l’archevêque a dû sa mort, n’était pas une provocation, c’était une réponse. Personne plus que moi ne l’a déplorée. J’ai même écrit sur cette question si grave un article dans mon journal, le Mot d’Ordre ; je suppliais Raoul Rigault et ses amis, véritables maîtres de la situation, de ne pas user de représailles. Cette protestation m’a même valu, de la part du dictateur d’alors, une menace d’arrestation qui m’eût mis entre deux feux : celui des Versaillais et celui des insurgés. Mais à ce moment, tout le monde avait la fièvre et la vie ne comptait plus. »

La courageuse protestation de M. Henri Rochefort contre le décret de la Commune doit sans doute être mise à son actif. Mais son appréciation, comme celle de M. Gautherot et d’autres écrivains, sur la conduite de M. Thiers en ces terribles circonstances, n’est pas fondée, et c’est ce que je voudrais démontrer, ayant été à même, ancien archiviste à l’Assemblée nationale, de voir de près les documens et de parler avec des témoins au sujet de cette douloureuse et déplorable affaire.


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Que demandait la Commune à M. Thiers, c’est-à-dire au gouvernement de Versailles, en échange de quelques otages ? L’élargissement de Blanqui. Est-il vrai que cet élargissement n’eût rien ajouté aux forces de l’insurrection ? C’est ce qu’il convient de voir.

Dès le 4 septembre 1870, Blanqui avait reparu à Paris pour fonder la Patrie en danger avec Théophile Ferré et Raoul Rigault. On avait déjà cru sentir son impulsion, aux derniers jours de l’Empire, dans l’affaire du 14 août à la Villette, où des insurgés avaient agi avec l’espoir de s’emparer de la Préfecture de police et de l’Hôtel de Ville. Le coup avait manqué, mais il