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incertitudes intermittentes de sa volonté. Nous lui attribuions l’action très personnelle et décidée que Moltke exerçait dans l’état-major prussien auprès du roi de Prusse. Mais l’Empereur ne l’entendait pas ainsi. Il voulait exercer son autorité de près, à tous les momens et jusque dans le moindre détail. Le Bœuf s’y étant mépris et ayant cru qu’on lui demandait plutôt d’être un général en chef en sous-ordre, ce dont nous étions tous convaincus, qu’un chef d’état-major au sens subordonné du terme, l’Empereur le rappela à la réalité comme il l’avait fait autrefois envers les ministres de la Guerre qui avaient paru empiéter sur son pouvoir d’organisateur suprême. C’était au 16 juillet. Le maréchal venait de recevoir l’avis télégraphique que les reconnaissances prussiennes s’étaient avancées jusqu’à Sierck et qu’à Longwy, il n’y avait que 70 hommes. Il crut en cette circonstance pouvoir s’écarter de la règle rigoureuse selon laquelle un major général ne doit jamais rien prescrire sans l’ordre du général. Il télégraphia à Metz de détacher deux compagnies sur Longwy. La dépêche passant sous les yeux de l’Empereur, au milieu de toutes les autres de la journée, il écrivit sur-le-champ à Le Bœuf, non plus comme il avait la coutume : « Mon cher maréchal, » mais « Monsieur le maréchal, je suis étonné que vous ayez donné un tel ordre sans me consulter. » Le maréchal, ainsi blâmé, courut à Saint-Cloud, portant sa démission. L’Empereur ne l’accepta pas, et l’obligea à la reprendre par ses amicales instances, mais les rapports étaient désormais établis, et Le Bœuf prévenu de n’avoir pas à s’élever au-dessus d’un rôle subordonné. Il accepta de n’être pas le conseiller dont les avis prévalent et d’être l’instrument docile, en quelque sorte passif, de plans qu’il n’avait ni conçus, ni approuvés. — Ainsi la méthode de commandement adoptée en principe par Napoléon III était celle de son oncle : toute l’initiative et toute la décision, même dans les détails, réservée au commandant en chef ; le chef d’état-major et les chefs de corps simples exécuteurs d’ordres. La seule qualité que ce système développe est l’obéissance : il supprime toute initiative et il veut, pour être manié sans catastrophe, le cerveau puissant d’un Turenne, d’un Frédéric, d’un Napoléon Ier.


EMILE OLLIVIER.