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l’Empereur blesser le père et accroître inutilement les défiances de l’Impératrice, le Conseil ne prit pas l’initiative d’un avis qu’on ne lui demandait pas et nous nous bornâmes à échanger nos regrets entre nous.

L’Empereur nous annonça qu’il avait désigné Le Bœuf comme son major général : il conserverait encore le titre de ministre, et son successeur ne serait dit que ministre par intérim. Dans l’armée de Boulogne (1803) le ministre de la Guerre remplissait aussi les fonctions de major général. Cette combinaison avait pour but de faciliter à l’Empereur les contre-seings de certains décrets relatifs à l’armée ; il était entendu que le ministre intérimaire exercerait ses fonctions dans toute leur plénitude et en toute liberté. L’abandon du ministère de la Guerre par Le Bœuf était regrettable au point de vue de la mobilisation. Alors que les minutes valaient des jours, et que les destinées de la France dépendaient de la rapidité de nos mouvemens, éloigner de la direction de l’armée un chef en possession de tous les fils, y substituer un nouveau venu, obligé, quelle que fût sa compétence, à un apprentissage, ne fût-ce que de quelques heures, s’exposer ainsi à ralentir, sinon à désorganiser, par un changement de méthode, l’impulsion sous laquelle hommes et choses se précipitaient au but, c’était ajouter soi-même des retards à ceux déjà trop nombreux qui résultaient des institutions. Napoléon Ier, en 1815, n’avait pas consenti à ce que Davout se rendît à l’armée et l’avait obligé à rester au ministère. Napoléon III avait, il est vrai, envoyé le ministre de la Guerre, Saint-Arnaud, en Crimée. Mais lorsqu’il choisit, en 1859, le maréchal Vaillant comme major général, il venait de lui retirer le ministère, et en 1867, lors de l’alerte du Luxembourg, il avait résolu de laisser Niel à la tête de l’administration de l’armée, et avait choisi pour l’accompagner le général Lebrun, qui resta depuis ce moment le major général en expectative. Il l’eût été, en 1870, si l’Empereur, après en avoir été engoué, ne s’en était désenchanté : il l’avait trouvé agité, mobile, oublieux et sans ordre. Sans lui retirer son estime et sans le rejeter, et, tout en lui donnant même des missions de confiance comme celle auprès de l’archiduc Albert, il ne se reposait pas assez sur lui pour en faire son auxiliaire principal. Et c’est, en grande partie, afin de l’écarter sans l’offenser, qu’il nomma Le Bœuf, major général, reléguant Lebrun au second rang, avec la qualité de