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de garder le titre de gouverneur tout en organisant l’administration civile. Aidé par un préfet distingué et actif, Le Myre de Vilers, il avait secondé toutes nos vues libérales. Même l’Empereur prenant le commandement en chef, il eût fallu le placer non loin de lui de manière qu’il fût son successeur désigné en cas probable d’empêchement. On destina malheureusement Bazaine à ce rôle, et Mac Mahon fut envoyé à Strasbourg. Cette mauvaise attribution des commandemens a été une des causes principales de nos malheurs. Si Bazaine avait été à la place de Mac Mahon à Strasbourg et Mac Mahon à celle de Bazaine à Metz, les événemens eussent pris une autre tournure, et nous eussions probablement échappé aux désastres.


VI

L’Empereur ne nous consulta pas sur sa résolution d’exercer le commandement en chef de l’armée et ne nous parla pas davantage de sa volonté d’emmener avec lui son fils. Cette résolution ne nous plut pas, quoiqu’on pût la défendre par d’excellentes raisons. Il y avait un côté élevé dans cette idée d’associer aux épreuves de l’armée et d’initier de bonne heure aux hasards, aux difficultés, aux émotions, aux horreurs de la guerre celui qui aurait plus tard dans la main le pouvoir de la déchaîner ou de la conjurer. C’était conforme à la tradition française. Le duc de Vendôme, petit-fils d’Henri IV, servait à douze ans ; le futur régent, alors duc de Chartres, n’avait pas encore quinze ans lorsqu’il fut blessé à Steinkerque, et beaucoup d’autres de même. Nous craignions qu’en la rapidité foudroyante de la guerre moderne, la présence d’un enfant à surveiller et protéger ne devînt une gêne nuisible aux opérations. Lorsqu’en 1848, le 23 février dans la nuit, on lui donna le commandement de l’armée de Paris, Bugeaud s’écriait : « Surtout pas de princes ! j’en ai vu assez en Afrique[1] ! » Nous redoutions aussi que cela ne fournît un prétexte de plus à la calomnie de présenter la guerre comme un calcul dynastique, visant à donner à un enfant le sacre de la victoire[2]. Néanmoins, ne voulant pas dans

  1. Daniel Stern, Révolution de 1848, t. I, p. 207.
  2. Louis Blanc écrivait : « Voilà ce qu’on somme la France d’affronter dans le but, à peine dissimulé, de donner à l’héritier présomptif ce qu’on nomme le baptême de la gloire ! » Rappel, 14 juillet.