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l’abaissement moral, dans le mépris du progrès et de la liberté. Le conflit n’est pas aujourd’hui, comme certains le disent, entre les pairs d’un côté et le peuple de l’autre. Il est entre deux moitiés de l’Angleterre. De part et d’autre, il faut que chacun y mette du sien pour qu’un de ces compromis dont le bon sens anglais s’est enorgueilli dans le passé soit conclu. » Ce compromis, beaucoup le désirent qui n’osent pas encore le dire aussi nettement que l’archevêque de Cantorbery : on en trouve les élémens dans les résolutions de lord Rosebery et de lord Lansdowne. Si le gouvernement voulait y prêter la main, rien ne serait plus facile que de le conclure. Pourquoi ne le veut-il pas ? Les raisons qu’en a données lord Crewe à la Chambre des Lords sont-elles les bonnes, les vraies ? On ne le croit guère. On regarde du côté des socialistes et surtout des Irlandais. Ces derniers ne sont peut-être pas autant qu’on le dit les maîtres de la situation, mais ils sont ceux du gouvernement. M. Asquith est lié par les promesses qu’il leur a faites : ils ne lui permettent pas de s’y dérober. Quant à eux, ils se préparent à la lutte électorale avec ardeur et confiance. M. Redmond est revenu des États-Unis et du Canada avec un million que les frères d’outre-mer ont généreusement donné pour le succès électoral de la cause nationaliste. On fait sonner très haut ce million où l’on voit le nerf de la guerre et, comme l’a dit M. Asquith, la guerre est commencée. Veut-on savoir comment M. Lloyd George l’engage et s’apprête à la soutenir ? Qu’on nous permette une dernière citation : elle est un peu longue, mais elle caractérise admirablement la manière « oratoire du chancelier de l’Échiquier.

« Supposons, a-t-il dit dans un meeting, que nous nous rendions en Australie pour persuader aux habitans d’établir une Chambre des Lords sur le modèle de la nôtre. — Avez-vous une deuxième Chambre, bonnes gens ? Oui. Fort bien. Nous passerons la nuit ici. De quelle classe de personnes est-elle composée ? — De cette classe de personnes que vous voyez autour de vous. — Écoutez, nous sommes des missionnaires, nous venons convertir les païens que vous êtes au principe d’une deuxième Chambre héréditaire. — Que devons-nous faire pour nous sauver ? diraient les Australiens. Constituer une aristocratie ? Où la prendrons-nous ? — Rien de plus aisé, je vais vous conter comment la nôtre nous est venue. Commençons par la plus ancienne, c’est-à-dire la meilleure, parce que, comme le fromage, plus une aristocratie vieillit (Une voix : plus elle sent mauvais ! ) plus elle gagne en valeur… Des flibustiers français arrivèrent en ce pays, de Normandie : une vraie cargaison. Ils tuèrent tous les propriétaires qu’ils purent