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théâtre est fort enclin à pardonner. Je ne sais si on a suffisamment remarqué l’attitude très nette qu’a prise l’auteur de l’Adversaire dans cette question de l’adultère, si souvent obscurcie par une sentimentalité qui dans l’espèce est synonyme de sensualité. « Cette existence de complaisance, de lâcheté et d’hypocrisie, je ne veux pas la mener. Quand on est certain de ne pas oublier, le pardon n’est qu’une comédie méprisable… » Ainsi parle le mari outragé. Il souffre, il souffrira longtemps, toujours. Mais quand on n’a pas dans son passé de faute à se reprocher, quand on n’est dans le présent coupable d’aucun abaissement, la vie peut être douloureuse : elle reste supportable. C’est encore un chapitre de l’optimisme, le chapitre du malheur.

Je n’ai jamais très clairement débrouillé quelles sont les deux écoles entre lesquelles, dans la pièce qui porte ce nom, M. Capus prétend distribuer l’humanité. En revanche, on reconnaît tout de suite celles, qui se font opposition dans Notre jeunesse. D’un côté, les malchanceux qui sont aussi les faibles, les timides, les égoïstes, et chez qui la malchance n’est que l’expression de leur misérable pusillanimité. C’est Lucien Briant : « Rien ne m’arrive comme aux autres, à moi ! Je fais une faute, elle retombe sur moi au moment où je m’y attends le moins. Si je commets une erreur, une imprudence, je la paye plus cher que n’importe qui. Il y a des gens, au contraire, à qui leurs propres maladresses réussissent. Enfin, c’est comme ça. » C’est lui qui, ayant eu naguère une maîtresse, et de cette maîtresse une fille, s’étonne et s’indigne que ce péché de jeunesse vienne troubler la paix de sa vie conjugale. Cette faiblesse et cette maladresse, Lucien les a certainement héritées de son père. M. Briant, chez qui elles se sont tournées en aigreur, humeur dénigrante et ironie supérieure. « De quoi est-il aigri ? Mais d’avoir été obligé, à un moment donné, d’appeler son fils à son secours, et je suis convaincu qu’il lui en a gardé une vague rancune. Tout cela se traduit par des rires hautains, des paroles amères et ironiques, de cette ironie qui vous porte sur les nerfs au lieu de vous faire sourire. Il trouve autour de lui tout médiocre et puéril ; il compare la société actuelle à celle de son temps et il la juge en pleine décadence et en pleine pourriture. » Ce type est un des plus finement observés et des plus justement indiqués qu’il y ait dans la comédie moderne. De l’autre côté, Laure, la bonne gaffeuse, qui ne fait jamais que la gaffe utile et souhaitée, celle qui consiste à déjouer toutes les petites manœuvres et mesquines prudences de l’hypocrisie ; et Mme Briant, qui, généreuse pour deux, réparera la faute de son mari ; et Lucienne qui, fille naturelle et