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de Français reprochaient aux libéraux français, c’était que gouvernement parlementaire était système anglais.

Donc, les historiens ont fait du mal au benthamisme.

Je n’en crois pas grand’chose, et, franchement, c’est bien ici que les idées de M. Dicey, encore que je les trouve, comme toutes celles qu’il a, très ingénieuses, très originales et même très suggestives, s’éloignent le plus des miennes. J’ai penchant à croire que si les historiens avaient de l’influence sur l’esprit des peuples, de quoi il va sans dire que je doute, cette influence serait « benthamique, » serait libérale.

Pour commencer par le fatalisme historique, que nous avons vu que M. Dicey vise en premier lieu, il est certain que c’est une maladie diagnostiquée chez un très grand nombre d’historiens ; mais il est remarquable qu’elle n’a pas d’influence, ou presque point, sur les opinions qu’ils ont relativement aux choses de leur temps. Ils sont fatalistes pour toute l’histoire et ils ne le sont pas pour l’histoire contemporaine. S’ils l’étaient pour l’histoire de leur temps, ils ne seraient d’aucun parti politique, estimant qu’être de quelque parti que ce soit est bien inutile, puisque l’histoire fara da se. Or, ils sont toujours d’un parti politique et avec ardeur, exemples Guizot, Thiers et Macaulay. Et cela se comprend très aisément. C’est l’histoire même du libre arbitre. Nous ne croyons pas libres les autres ; mais nous nous croyons libres nous-mêmes. De même sorte, l’historien croit toute l’histoire passée mécanique ; mais il croit libre celle qu’il fait ; il croit susceptible d’incliner à droite, à gauche, en avant ou en arrière l’histoire à laquelle il collabore. Tout au plus, — et ce n’est qu’un bien, — il se gardera de l’illusion radicale, de l’illusion par laquelle on croit que le peuple dont on fait partie peut, soit avancer, soit reculer, de cinquante ans en une semaine. A cela s’oppose la notion qu’il a des lenteurs nécessaires de l’histoire réelle ; mais pour ce qui est de son fatalisme d’historien, il le laisse à la porte de la Chambre des Communes, ou plutôt, s’il entre à la Chambre des Communes, c’est que, pour tout ce qui touche aux choses de son temps, il ne l’a pas.

Pour ce qui est de la croyance à la quasi-égalité des races humaines qui fait nécessairement partie du benthamisme et que l’habitude de l’histoire détruit, je ferai remarquer qu’elle ne la détruit pas, mais qu’elle la fonde. Ce qui donne l’idée de la