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s’était surtout plu à y voir la consécration par la France de la plus grande gloire littéraire de la Roumanie. Le temps et la réflexion ont remis les choses au point, et aujourd’hui, le Chant de la race latine, qui est loin de valoir la plupart des beaux poèmes écrits par Alecsandri en l’honneur de son pays, n’occupe plus, dans son œuvre, que la place secondaire à laquelle il a droit.

Le succès obtenu par l’auteur du Chant de la race latine aux fêtes du Félibrige ne fut peut-être pas tout à fait étranger à la résolution que prit le gouvernement royal de lui confier, en 1885, la Légation de Paris. Nul ne pouvait plus dignement que lui représenter en France le pays où règne Carmen Sylva. Il savait qu’il retrouverait dans le poste qu’il avait occupé jadis, comme agent diplomatique du prince Couza, un accueil sympathique et des amitiés dévouées. Mais l’idée de sacrifier sa liberté, dont il était devenu, avec l’âge, de plus en plus jaloux, à une fonction publique, quelque élevée qu’elle pût être ; l’idée surtout de quitter son beau domaine de Mircesti où il vivait heureux, entouré de l’affection de ses deux petites-filles qu’il adorait, et goûtant, vers le soir de sa vie, la douceur d’un repos bien gagné, lui faisaient envisager avec appréhension une nouvelle absence de son pays. Déjà, en 1878, il avait, pour des scrupules du même ordre, décliné l’offre que lui avait faite son vieil ami Cogalniceano, alors ministre des Affaires étrangères, de l’envoyer en mission extraordinaire à Rome. L’insistance du roi Charles, et celle de son premier ministre, M. Bratiano, devaient, en 1885, venir plus aisément à bout de ses hésitations. Malheureusement, le début de son ambassade en France fut marqué par un conflit diplomatique qui l’affecta outre mesure. Il s’agit du différend survenu, dans les premiers mois de l’année 1885, entre la France et la Roumanie, à propos de leurs relations commerciales. Bien que ce malentendu eût été assez rapidement aplani, grâce au désir de conciliation dont se montrèrent animés les deux gouvernemens, il n’en laissa pas moins dans l’esprit d’Alecsandri une impression pénible, qui assombrit la joie que lui avait fait éprouver son retour à Paris. Le temps était passé où les idées personnelles de Napoléon III avaient créé en France un courant sympathique au peuple roumain ; le gouvernement qui avait succédé à l’Empire, rompant avec la politique traditionnelle de la France à l’égard de la