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(l’Autel du monastère de Putma ; — l’Heure fatale ; — le Tartare ; — Chanson guerrière), le poète évoque en effet le souvenir d’un passé glorieux pour les Roumains ; dans d’autres (Marioara Florioara ; — Cinel-Cinel), il peint, en des vers d’une fraîcheur et d’une grâce incomparables, et avec des couleurs dont l’éclat est aussi vif que le sentiment qui les lui a inspirés, le ciel, les plaines, les montagnes, les sources, les fleurs de son pays, et il entremêle à ces descriptions soit quelque tableau, pris sur le vif, de mœurs populaires, soit quelque récit, tantôt joyeux, tantôt émouvant, dans lequel revivent les habitudes, les usages, les croyances naïves et superstitieuses du peuple roumain.

Les soi-disant délicats, les raffinés, qui persistaient à ne considérer comme poètes vraiment dignes de ce nom que les imitateurs serviles des pseudo-beautés de la mythologie classique, et qui ne concevaient pas qu’on pût écrire en vers sans chanter la flèche d’Eros ou le trident de Neptune, crièrent au scandale et essayèrent de déprécier et de ridiculiser ce jeune homme de vingt-trois ans, qui, au lieu de « s’attacher aveuglément aux opinions de ses anciens, » osait ainsi rompre en visière à l’idée qu’on se faisait alors de l’art et du style poétiques. Mais les connaisseurs ne s’y trompèrent pas, et saluèrent avec joie l’éclosion d’un talent si plein de promesses. Une jeune femme surtout se distingua par la conviction et la chaleur des encouragemens qu’elle prodigua à Basile Alecsandri. Elle était de grande naissance, belle, ornée de tous les agrémens de l’esprit : Alecsandri conçut pour elle une de ces passions, mêlées de culte et d’idolâtrie, dont les grands poètes seuls ont le privilège de dire magnifiquement au monde toute la douceur et toute l’ivresse. Hélène Negri, — son nom n’est plus aujourd’hui un mystère pour personne en Roumanie, — fut l’Elvire, la Béatrice du poète des Doïnas, et ce touchant roman d’amour, ébauché en Moldavie au commencement de l’année 1845, continué en Italie et principalement à Venise, en 1846, et tragiquement interrompu par la mort, sur les rives du Bosphore, au printemps de 1847, a fait jaillir de l’âme, tour à tour heureuse et cruellement déchirée, d’Alecsandri, quelques-uns des plus beaux vers de la langue roumaine : 8 mars 1845 ; — Une nuit à la campagne ; — Chant de bonheur ; — Venise ; — Adieu ; — Dédicace (l’Étoile).

Nous avons vu Alecsandri occupé à recueillir de la bouche