Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévot que la reine sa fille, achevait en paix ses vieux jours sous l’amoureuse domination de la marquise de Boufflers, ce bruit d’intrigues et de fêtes modestes, mais tout de même à l’étiquette, ne pouvait manquer d’exercer son attrait sur ce couple à peine échappé de Versailles. Ils n’y durèrent donc pas longtemps, et tandis que Mme du Châtelet, dont les ardeurs augmentaient avec l’âge, s’en allait tomber aux bras de Saint-Lambert, — Saint-Lambert, ce dragon moins fameux dans l’histoire pour avoir rimé les Saisons que pour avoir hérité des amours de Voltaire avec Mme du Châtelet, et prévenu la passion de Jean-Jacques pour Mme d’Houdetot, — Voltaire, du fond de la Lorraine, s’évertuait à refaire sa situation compromise.

Pour se réconcilier la faveur de la reine, qui avait tous les bons sentimens d’une personne sincèrement pieuse, il faisait intervenir ce bonhomme de Stanislas, qu’il avait d’abord et entièrement séduit. Il s’efforçait à reconquérir les bonnes grâces de Mme de Pompadour, en lui communiquant une version de l’Histoire de la Guerre de 1741 où elle pouvait lire ces paroles, à l’endroit du traité d’Aix-la-Chapelle et de la conclusion de tout l’ouvrage : « On apprendra avec surprise que cette paix fut le fruit des conseils pressans d’une jeune dame du plus haut rang, célèbre par ses charmes, par ses talens singuliers, par son esprit et par une place enviée. » Et le morceau se terminait par une espèce de parallèle entre l’impératrice Marie-Thérèse et Mlle Poisson, dont on entend assez que tout l’avantage était pour la seconde. Il essayait encore, pour s’assurer de la réalité de son pouvoir et de son crédit, de faire interdire par la police et au besoin d’ordre du roi, je ne sais quelle parodie de sa Sémiramis. On dirait une répétition du rôle qu’il jouera plus tard, si ce n’était une reprise de celui qu’il avait déjà joué à Cirey : l’auteur était seulement devenu plus habile, les spectateurs plus nombreux et la scène plus vaste.

Aussi peut-on croire que, s’il ne s’était agi de ramener à lui que les femmes, Voltaire eût sans doute réussi, mais il y avait les hommes, Richelieu même, avec lequel il s’était maladroitement brouillé, Maurepas, le Dauphin et sa cabale, enfin le roi, contre la dédaigneuse indifférence de qui venaient l’une après l’autre échouer toutes ses manœuvres. C’est ainsi qu’ayant composé un Panégyrique de Louis XV, et l’ayant fait lui-même traduire en plusieurs langues, le roi ne daignait pas seulement s’informer