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Mme de la Tournelle, d’utiles et précieux renseignemens. Mais il ne lui laissa rien deviner de ses vraies intentions, qu’au surplus à ce moment c’est à peine s’il avait formées, et le poète, pour la seconde fois, s’en alla comme il était venu. Ce qui l’excuse uniquement du mensonge de ses Mémoires, c’est qu’il crut peut-être qu’il avait en effet réussi ; c’est que les événemens s’arrangèrent selon son désir et celui de la cour de Versailles ; c’est enfin qu’à Versailles même, et quoi qu’il en ait dit, on le traita comme s’il avait réussi. Revenu de Berlin, il continua de correspondre avec Amelot, toujours ministre ; quand Amelot eut été remplacé par le marquis d’Argenson, c’est à lui, Voltaire, que l’on recourut pour rédiger des pièces de quelque importance, les Lettres du Roi à la tsarine Elisabeth, ou les Représentations aux États généraux de Hollande. Enfin, et comme si décidément on voulait se l’attacher pour toujours, au commencement de l’année 1745, on lui donnait « une pension de deux mille livres, une expectative de gentilhomme ordinaire, et le brevet d’historiographe de Sa Majesté. » Il est vrai qu’à toutes ces faveurs subites, il y avait d’autres raisons, moins méritoires peut-être, mais plus puissantes aussi que les diplomatiques.


III

S’il avait en effet compris, et de bonne heure, on l’a vu, ce que la richesse ajoute, non seulement à l’indépendance, mais à la considération sociale de l’homme de lettres, Voltaire n’avait pas moins habilement démêlé ce qu’y peuvent apporter encore de surcroît l’étendue des relations mondaines et leur diversité. C’est le secret de cette volumineuse Correspondance, dont on peut dire que la moitié n’est peut-être pas arrivée jusqu’à nous. Princes et grands seigneurs, diplomates et militaires, petits-maîtres et magistrats, hommes de lettres et gens d’affaires, beaux esprits, fermiers généraux, jésuites et jansénistes, comédiens ou bohèmes, Voltaire n’a jamais laissé tomber, si je puis ainsi dire, une amitié utile. Lorsque Thiériot, son factotum, s’appropriait jadis les souscriptions de la Henriade et se plaignait impudemment qu’on les lui eût volées, Voltaire n’en croyait