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l’affichage du discours de M. Barthou, alors ministre des Travaux publics, qui condamnait vivement la grève.

La magistrature, sortant de son indifférence habituelle, en pareille matière, voulut manifester son réveil par des rigueurs inattendues : elle condamna à six jours de prison, sans application de la loi de sursis, pour « outrages, » six employés qui, au milieu de beaucoup d’autres, avaient crié : « Conspuez Simyan, » le sous-secrétaire d’État aux Postes et Télégraphes. L’opinion publique, le commerce se montrèrent également résolus. La Chambre de commerce de Paris, malgré les critiques que M. Barthou avait faites, on l’a vu plus haut, moins d’un an auparavant, à l’endroit de l’esprit de ce corps, et les syndicats patronaux organisèrent des services provisoires de dépouillement et de distribution des correspondances, pour suppléer à ceux que la grève avaient suspendus. Bien plus, les organes divers des commerçans, bien loin de solliciter que le gouvernement cédât aux exigences des grévistes, l’encouragèrent avec une louable prévoyance à la résistance. M. Lefebvre, président de la Chambre de commerce de Paris, au nom de ce corps, et les chefs de huit importans syndicats commerciaux signèrent et rendirent publique la déclaration suivante : « Ils tiennent, disaient-ils, à déclarer nettement que, quel que soit le préjudice qui lui est causé (au commerce parisien), ils ne sauraient aucunement approuver une solution qui, pour limiter les conséquences d’une interruption désastreuse des transactions, paraîtrait considérer comme légitime le droit de grève des services publics. »

Dans ces circonstances critiques, la première explosion de grève dans une administration d’Etat, tout le monde montra de la fermeté, sauf le gouvernement. Celui-ci ne songea qu’à mettre fin le plus tôt possible, par des procédés équivoques, des promesses ou des apparences de promesses, à la suspension du travail. MM. Clemenceau et Barthou reçurent une délégation des postiers et télégraphistes, dans laquelle figurait l’un des condamnés à la prison. « Les ministres se sont traînés à nos genoux, » dit dans une réunion publique un des délégués ; certes, l’expression était fausse au sens réel, mais elle n’était peut-être pas trop exagérée au sens figuré. Un des délégués déclarait aussi dans une réunion de postiers : « Nous rentrons la tête haute ; c’est à ceux qui sont restés dans les bureaux d’avoir maintenant