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le plus souvent funeste, et ceux à qui on l’imposait s’ingénièrent toujours à s’en affranchir. Aucun des hommes qui ont illustré l’art de la guerre par leur génie n’ont eu une opinion différente de la nôtre. Bonaparte, alors qu’il avait des supérieurs hiérarchiques, ne souffrit pas que le pouvoir public s’immisçât dans la conduite de ses opérations et, par sa résistance, l’exposât en plus d’une occasion à être traité de rebelle ; Pélissier à Sébastopol ne consentit pas à se soumettre à la direction lointaine de l’Empereur. Une seule fois nous nous écartâmes de cette règle pour demander au ministre de la Guerre de commencer la mise en état de défense et l’armement de l’enceinte fortifiée de Paris et des forts extérieurs (24 juillet). La confiance publique était telle que cette précaution étonna. Si nous l’avions négligée, on aurait crié à l’incurie : nous la prenions, on se plaignit qu’elle fût alarmante.


IX

Mon dessein eût-il été de présenter un plaidoyer personnel ou un panégyrique du Cabinet dont j’ai été le chef effectif, ma tâche serait maintenant terminée. L’Empereur avait mis pour condition essentielle à sa réforme parlementaire que les deux ministres militaires seraient choisis par lui et soumis à sa direction exclusive, sauf pour les questions d’un caractère politique (telles que la fixation du contingent et du budget de la Guerre). Par-là il s’était rendu seul maître responsable de l’action militaire de son gouvernement. Dès que la crise Hohenzollern avait éclaté, nous lui avions demandé, ainsi qu’à son ministre de la Guerre : « Sommes-nous prêts à soutenir notre droit par les armes ? » Et c’est sur leur assurance énergique, plusieurs fois réitérée, que nous avions entrepris notre négociation. Je pourrais donc m’arrêter ici et dire : « Que l’Empereur, l’administration militaire et les chefs d’armée s’expliquent ! L’état de nos forces, l’emploi qui en a été fait, notre stratégie, notre tactique, tout cela ne nous regardait pas ; nous n’avions ni compétence ni autorité pour en décider. » Mais je suis un historien, un juge, dès lors obligé de me prononcer aussi bien sur la préparation militaire[1]que sur la négociation et les alliances. Après

  1. Sur cette préparation, œuvre du maréchal Niel, voyez l’Empire libéral, t. XI.