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auraient examinés et laissés passer. Nous fauchâmes ainsi un si grand nombre de dépêches qu’elles n’apportèrent plus aucun renseignement aux Prussiens.


VIII

La colère que mon arrêté avait inspirée fut encore accrue par une décision du major général Le Bœuf, qui interdit l’accès des quartiers généraux à toute personne étrangère à l’armée-Les correspondans de journaux ont toujours paru un fléau aux chefs militaires. En Crimée, lord Raglan, le général Simpson, et d’autres officiers occupant des situations qui comportaient des responsabilités, avaient souvent exprimé des doutes sur la possibilité de continuer la guerre si on laissait le champ libre aux correspondans qui suivaient l’armée. Dans la guerre de sécession, le général Sherman publia l’ordre du jour suivant : « Le général en chef ne tolérera pas la présence, au milieu de l’armée, de cette classe d’individus venus, non pour prendre un fusil et combattre, mais pour récolter des nouvelles à vendre à des journaux, en spéculant sur un genre d’informations dangereuses pour l’armée et sa cause[1]. » (20 mai 1864.)

L’exclusion des correspondans nous était d’autant plus impérieusement dictée que, sur tous les quartiers généraux, se ruaient déjà les envoyés des journaux irréconciliables. Metz en était plein. Ils essayaient de nouer des relations avec les officiers, de s’insinuer dans le rang, car « de tout temps les démagogues ont considéré la licence dans l’armée comme une de leurs forces. » Ils auraient constitué, sur les pas de nos soldats, une officine de trahison ; si nous les eussions tolérés, par amour de la popularité, nous nous serions rendus coupables de trahison nous-mêmes. Alors les journaux devinrent moins

  1. Sous la République, lors de l’expédition contre les Kroumirs de Tunisie, on n’admit de correspondans qu’à la condition de signer une déclaration ainsi conçue : « Je m’engage sur l’honneur à ne transmettre aucune information, soit directement, soit par télégraphe ou par lettre, soit par des tiers, sans l’avoir fait revêtir au préalable du visa du commandant de la colonne expéditionnaire ou des officiers que celui-ci aura délégués. Je reconnais en outre avoir été prévenu que si le journal au titre duquel je suis accrédité publie des nouvelles de nature à servir les adversaires de la France, je serai immédiatement reconduit au port d’embarquement le plus voisin et que le séjour de l’Algérie me sera interdit. » Les Anglais, plus énergiques lors de leur expédition d’Afghanistan, exclurent purement et simplement les correspondans.