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VI

Ce monstrueux complot, qui ne prenait même pas la peine de se dissimuler, préoccupait notre préfet de police. Il eût voulu que nous prissions des mesures exceptionnelles contre les réunions et la presse. L’Empereur était également de cet avis. Ayant été amené à l’interroger sur la part qu’on prêtait à l’Impératrice dans les intrigues contre le ministère, j’en reçus la lettre suivante : « Mon cher monsieur E. Ollivier, j’ai montré votre lettre à l’Impératrice ; elle m’a répondu ce que je savais, c’est-à-dire qu’elle ignorait complètement ce qui se passait à la Chambre. Elle a vu l’autre jour M. Mathieu, et la seule chose qu’elle lui ait dite, c’est qu’elle regrettait que le Corps législatif n’ait pas fait à Saint-Cloud la même démarche que le Sénat, parce que cela diminuait, aux yeux de l’étranger, la manifestation nationale. — Nous sommes dans un moment trop solennel pour nous occuper d’intrigues, mais il faut reconnaître que ce que regrettent bien des gens dévoués et exempts de toute ambition, c’est de penser que je laisse derrière moi, dans Paris et la province, un parti hostile à ma dynastie comme à la cause nationale, qui, par la presse, prêche le désordre et la ruine de l’armée. Voilà où sont réellement les préoccupations justifiées. Ainsi aujourd’hui même, les journaux irréconciliables prêchent la révolte, protestent contre la guerre, se font les auxiliaires de l’étranger. Cela doit-il être permis ? Le Réveil contient des calomnies contre mon commandement en Italie et prédit une défaite ! Il faut pendant la guerre qu’on prenne résolument des mesures contre la presse, et une des raisons qui me font préférer avoir un ministère libéral, c’est qu’il peut prendre ces mesures de salut public sans qu’il soit accusé de réaction. Je vous expose toute ma pensée, car vous savez que j’ai une foi entière dans votre esprit élevé, dans votre dévouement éclairé. Croyez, cher monsieur Ollivier, à ma sincère amitié. » (19 juillet.)

Avant de prendre mon parti sur la réponse à faire à l’Empereur, je dus sonder à fond l’état d’esprit de la majorité de la nation, et voici comment il m’apparut. L’agitation intransigeante, plus bruyante qu’efficace, inspirait le dégoût ; elle n’avait pu réussir à ébranler les masses parisiennes, et les ateliers n’avaient pas sacrifié la patrie au fanatisme révolutionnaire ;