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berger en me disant adieu : « Jamais plus tu n’en reviendras ! jamais-plus tu n’en reviendras ! » Non, vraiment, je ne suis pas assez fort, je ne suis pas assez résistant pour cette vie de Berlin !


Ainsi s’épanche, dans sa « douce tristesse, » le petit Kubinke ; et comme autrefois Desdémone en écoutant le récit des malheurs d’Othello, la « rousse » Pauline s’émeut sans trop chercher à comprendre, et son désir de consoler son ami se change peu à peu en un sentiment plus intime et plus chaud, qu’elle exprime en passant son bras autour du cou du garçon coiffeur. Alors, pour la première fois leurs lèvres se rencontrent, et je ne puis assez dire avec quelle poésie délicate et subtile M. Hermann nous décrit ensuite leur retour à Berlin, sous un ciel étoile, leur retour pareil à un rêve délicieux, trop rapide et qui cependant leur semble ne pas devoir finir. Ce sont là des pages qui suffiraient à justifier l’auteur de Kubinke d’avoir préféré à la peinture des mœurs de la riche bourgeoisie juive celle de la vie plus obscure d’un garçon coiffeur et d’une femme de chambre. Hélas ! pourquoi ne puis-je pas en donner même une idée au lecteur français ! Et puis les deux amoureux se séparent, dans l’escalier de l’immense maison, après un dernier baiser qui leur vaut la haine jalouse du « vice-propriétaire » Piesecke.


Dans la cuisine, M. Max Lœwenberg, vêtu d’un pyjama rose, et Mme Betty Lœwenberg, enveloppée de quelque chose de blanc qui tenait le milieu entre un peignoir et une veste de nuit, étaient en train de travailler à réchauffer un biberon pour leur petit « Jeannot d’or ; » et tous les deux furent ravis lorsqu’ils aperçurent Pauline, car M. Max Lœwenberg ne s’entendait à réchauffer du lait que d’une façon toute théorique, tandis que Mme Betty Lœwenberg n’avait pas même appris cela dans la coûteuse pension de Mlle Bamberger.

— Eh bien ! Pauline, comment était-ce à Grünewald ? demanda M. Lœwenberg.

— Oh ! c’était très beau ! — répondit Pauline en baissant les yeux ; et l’on pouvait comprendre à sa voix qu’elle avait pleinement conscience de la portée historique de cette mémorable soirée. — C’était très beau ! Je viens de me Fiancer avec M. Kubinke !


T. DE WYZEWA.