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pensée dans sa simplicité entière. Qu’elle intéresse des sensibilités aussi nobles que celle dont je trouve les signes dans votre lettre, c’est pour moi la seule preuve que ce livre n’est pas absolument manqué. Je n’ai eu aucunement l’intention de faire une œuvre de combat, mais seulement de donner une illustration de quelques idées qui me sont chères.

Il ne me semble pas qu’il y ait contradiction entre l’agnosticisme et ces idées, du moins si l’on prend le mot agnosticisme dans son sens strict. Le début des Premiers Principes de Spencer enfermait ce développement. C’est de là que je suis parti en 1878 pour arriver âmes conceptions actuelles, et je n’ai pas l’impression que j’aie rien à rejeter dans la thèse spencérienne. L’inconnaissable étant reconnu comme le dessous de la réalité, il est réel, et Dieu est affirmé par cela seul comme l’inconcevable principe de l’intelligence, de l’amour et de la volonté. S’il existe, intelligence, amour et volonté, son action doit se reconnaître dans l’humanité. Le Christianisme me paraît porter la marque de cette action divine. Voilà tout ce qu’il y a dans l’arrière-fond de l’Étape comme mysticisme et comme loi de sociologie, l’affirmation que l’unité sociale est la famille, et qu’elle a quelques conditions, dont l’une est le temps.

Je me rends bien compte que les violences des partis rendent presque intenable la position d’analyste indépendant que j’ai prise. Mais c’est un grand encouragement de sentir que l’on est suivi et compris par des âmes d’élite…


Nouvel échange de lettres après Un divorce. Nous n’avons pas colles de Charles Ritter. Voici quelques fragmens de celles de M. Paul Bourget :


Vous avez, me semble-t-il, raison, monsieur, de préférer l’Étape au Divorce. Du moins, s’il n’y avait pas de la fatuité à se juger soi-même, et surtout à attacher de l’importance à des ouvrages destinés sans doute à sombrer dans l’immense abîme de l’avenir, — debemur mord nos nostraque, — du moins je penserais comme vous. Dans le premier de ces deux livres l’auteur avait devant lui tout un milieu ; dans le second, il n’a qu’un cas. Ce même Goethe insistait toujours sur « l’importance du sujet. » C’en est une toute petite preuve après des milliers d’autres…

… Oui, je voudrais que l’audiatur et altera pars fût toujours ma devise, Mais c’est vrai que j’ai souvent trouvé bien peu de compréhension de cet effort chez ceux qui m’ont jugé. Je m’en console, quand je rencontre des sympathies aussi inattendues que la vôtre. Je me dis que le sort commun de tous les indépendans a toujours été d’être attaqués, et qu’après tout, la mesure n’a pas dépassé pour moi ce qu’il faut accorder à la Némésis.

Vous nommez, monsieur, parmi mes ouvrages, ceux qui ressemblent le plus à mon rêve d’art : du pathétique qui fasse penser. C’est une combinaison qui n’est pas aisée. Elle est, à mon goût, la plus humaine. J’aime cela dans Shakspeare, dans Balzac, dans certaines choses de Tourguenef, comme Fumée et Pères et Enfans. C’est ce que je trouve dans Virgile et dans certaines pages grecques que je mets au-dessus de tout, comme le chœur d’Agamemnon où Eschyle parle d’Hélène, comme la scène célèbre