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Vous nous aiderez à nous mettre en rapport, assurez-le de ma part, en attendant, qu’il n’a pas au monde un admirateur plus sympathique que moi. »

Hélas ! les événemens publics ne tardèrent pas à changer la nature des relations qui s’annonçaient si cordiales entre les deux philosophes. Strauss venait d’envoyer son Voltaire à Renan quand la guerre éclata. Renan lui répondit fort amicalement pour lui exprimer toute sa douleur d’une guerre qu’il considérait comme fratricide. Strauss, avec le manque de tact qui l’a plus d’une fois caractérisé, répondit dans la Gazette d’Augsbourg par une « lettre ouverte » qui, traduite en français par Charles Ritter, — probablement sur la prière de Renan, — parut dans le Journal des Débats avec une réponse de ce dernier. De plus en plus indélicat, violent et infatué, Strauss publia dans la Gazette d’Augsbourg une nouvelle lettre à Renan, et crut devoir joindre la prose de Renan à la sienne dans une brochure qui fut mise en vente « au profit d’un établissement d’invalides allemands. » Renan répondit, comme l’on sait, par une Nouvelle Lettre à M. Strauss. Quels furent, dans cette affaire, dont il avait été comme la cause occasionnelle, les sentimens de Charles Ritter ? Avec une discrétion dont nous ne pouvons que le louer, M. Eugène Ritter ne nous le dit pas (« mon frère, nous déclare-t-il, n’aimait pas à en parler, ») mais il est facile de les deviner ; et qu’il ait, moralement, beaucoup souffert de cette douloureuse guerre, c’est ce qui n’est point douteux. « Notre sœur Marthe, — écrit incidemment M. Eugène Ritter, — était partie pour Paris avec un enthousiaste élan, pour y être infirmière. Elle a rempli ces fonctions à l’ambulance Chaptal, au boulevard des Batignolles, pendant le premier siège. Nous avons d’elle beaucoup de lettres de cette époque, venues par ballon. » Un Français qui ne relèverait pas avec émotion ce trait touchant de bravoure et de charité féminines, et qui n’y insisterait pas plus que n’a cru devoir le faire le trop modeste M. Ritter, risquerait, je pense, qu’on l’accusât de manquer de cœur, ou de gratitude.

Tous ces événemens avaient retardé la publication du volume traduit de Strauss. Renan y mit la Préface qu’il avait promise. « Mon premier moment de loisir, à mon retour, écrivait-il en novembre 1871, a été pour écrire ces quelques pages, où j’insiste uniquement sur ce précepte essentiel, que les déchiremens de la politique ne doivent pas nuire aux relations scientifiques et