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loin. L’évêque de Soissons, l’un de ses panéygristes, rapporte[1]que « sa coutume était de n’entreprendre jamais rien, sans y avoir pensé auparavant, longtemps et profondément. »

La princesse de Conti était moins ambitieuse que sa sœur, la duchesse du Maine. Bien que le titre de reine ne fût pas pour lui déplaire, elle évitait d’engager son mari à s’expatrier. On devine que Mme la Duchesse l’y exhortait moins encore et le prince se sentait tiraillé par ces liens secrets, dont les plus forts n’étaient pas les plus légitimes. L’horizon qu’on lui montrait était loin d’être dégagé. Aussi Conti cherchait-il plutôt les atermoiemens, les incidens dilatoires, que les moyens précipités de parvenir. Ce sceptre qu’on faisait miroiter à ses yeux lui apparaissait tantôt comme un rêve, tantôt comme un cauchemar. Le choix du candidat était cependant très judicieux, très avantageux pour les Polonais, et on le sentait bien à Versailles[2]. A une nation guerrière, il fallait un prince belliqueux ; à une nation libre un prince sage et modéré ; à une nation zélée pour la foi chrétienne, un prince foncièrement catholique ; à une nation divisée, un prince d’un génie supérieur. Conti avait ces aptitudes. Les premières dépêches de Polignac favorables à sa candidature trouvèrent, à Marly, « tous les esprits tournés vers la Pologne[3]. »

Louis XIV envoya chercher son cousin, eut avec lui plusieurs entrevues en tête à tête dans son cabinet, lui communiqua les messages de l’ambassadeur et le pressa vivement d’accepter la belle royauté qui s’offrait à lui, du moment qu’il paraissait demandé par une bonne partie de la noblesse polonaise disposée à écarter les fils du feu roi Sobieski. Dans ces deux entretiens du 12 et du 23 septembre 1696, Conti se montra extrêmement circonspect, au sujet d’une candidature si soudaine, « très attentif à en faire peser au Roi toutes les difficultés. » Deux lettres du courrier le traitant déjà de roi de Pologne, Louis XIV voulut aussi le déclarer tel. Le prince le supplia d’attendre au moins que son élection fût plus certaine[4]. Cette réserve tenait-elle à la prudence, à la modestie, ou plutôt, sans qu’il voulût se l’avouer, à son secret amour ?…

  1. Opuscule, B. N. fr. 12986, loc. cit.
  2. Cf. Massillon, Oraison funèbre du prince de Conti (Œuvres de Massillon, édition de 1833, p. 650).
  3. Souvenirs de Mme de Caylus.
  4. Conversation du prince de Conti rapportée dans une lettre de Madame du 4 août 1691 (Correspondance de la Palatine, recueil Jæglé, I. 171. Dangeau, 14 juillet 1697, Gazette de France, n° 30, p. 358.)