Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En attendant de nouvelles instructions, Polignac avait gagné à prix d’or les Sapieha et quelques autres magnats sur lesquels il croyait pouvoir compter à l’approche de l’élection. Malgré tout, le parti du prince Jacques se relevait. À cette nouvelle, Louis XIV blâma ses deux négociateurs de l’imprudence de leurs agissemens[1]. Il leur reprocha surtout « de s’être constitués otages, ce qui ne convenait pas, écrivait-il, à la dignité de leurs caractères. »

Enfin la date solennelle fixée pour l’élection arriva. Le 25 juin, toute la noblesse polonaise représentée par un corps électoral de plus de quatre cent mille hommes, se trouva réunie dans la plaine de Varsovie. Quelle scène imposante, presque invraisemblable ! Une telle affluence d’électeurs, tous mus par le sentiment d’un devoir national à accomplir, sans que le moindre désordre en vînt troubler la gravité. De tous les palatinats assemblés, avec leurs costumes pittoresques et leurs passions ardentes, celui de Plosk fut le plus enflammé à crier : « Vive Conti ! » Une première opération incomplète eut lieu ce jour-là, et l’on remit au lendemain la suite de l’élection.

Fatal délai ! « Cette nuit nous fut funeste, mandait Polignac au Roi, le 27. Le Castelnau de Caïman traita avec nos ennemis en faveur de Saxe. Le nonce attesta qu’il avait abjuré… Nous le crûmes roi pendant six heures… La scission se forma là-dessus. Vingt-huit palatinats pour Conti. Nous n’attendions que le moment de sa nomination. Nous apprîmes qu’elle seroit encore différée, parce que le cardinal la vouloit unanime. Le second jour, dans une conférence, nos ennemis déclarèrent par leurs députés, qu’ils estoient prêts à renoncer à la Maison Royale et aux Allemands, pourvu qu’on renonçât à M. le prince de Conti… Le grand Sapieha fit alors défection… On jugea qu’il n’étoit plus temps de différer la nomination. » Tandis que le cardinal Radziejowski nommait Conti dans le Colo (champ d’élection), l’évêque de Cujavie, l’un de nos ennemis, proclama l’Electeur de Saxe dans le camp. Il y avait double élection en sens contraire. « La nomination de Conti fut suivie du Te Deum dans l’église de Saint-Jean, et de la décharge d’artillerie, en sorte qu’elle fut revêtue de toute la solennité nécessaire… Enfin, Sire, ajoutait Polignac, M. le prince de Conti est élu par les trois quarts de la

  1. Le Roi à Polignac, 14 mars 1697, A. E.