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des emprunts sur place pour soutenir son personnage à Varsovie. Un nouveau compétiteur sérieux avait surgi : l’Electeur Frédéric-Auguste de Saxe. Celui-là avait un réel avantage, possédant non seulement de l’argent, mais des troupes. Elles s’étaient partagées en deux corps. L’an devait, disait-on, marcher sur Marienbourg, l’autre sur Oliva, près de Dantzig.

Dès le mois de février 1697, la candidature de l’Electeur, prêt à abjurer le luthérianisme et appuyé dans ce cas par la Cour de Rome, était considérée en Pologne comme sérieuse. Louis XIV dépêcha au printemps, à Varsovie, un certain abbé de Châteauneuf, avec le titre de coadjuteur de l’ambassadeur, un peu pour aider Polignac et beaucoup pour le surveiller. Dès son arrivée, Châteauneuf reconnut une scission, que l’ambassadeur avait jusque-là dissimulée de son mieux, dans le corps électoral.

Au mois de mai, les préparatifs commencèrent pour la diète d’élection, par les soins du cardinal Radziejowski. Les partisans du prince de Conti, ce prélat en tête, insistèrent avec énergie pour que le prétendant français se montrât le plus tôt possible avant le vote. « Qu’il se mette, disaient-ils, à la tête des troupes, et marche contre le prince Jacques, si le fils de Sobieski donne le signal de la guerre civile ! » Aussitôt Polignac et Châteauneuf de s’appuyer sur cette pression et d’écrire à Conti[1] : « Vos plus fidèles serviteurs tout d’une voix demandent que Votre Altesse se mette en chemin incessamment, pour venir prendre possession de son royaume aussitôt qu’Elle sera élue. »

Point de réponse. Le prince préféra attendre l’élection en France. Il était d’autant moins enflammé, qu’il voyait maintenant devant lui cinq concurrens suscités par sa temporisation : Jacques Sobieski, l’Electeur de Saxe, le prince de Neubourg, le prince de Lorraine et le prince Louis de Bade.

Polignac, ne recevant plus aucun courrier de France, se rongeait, et travaillait en aveugle, à Varsovie, pour la cause qui lui tenait tant au cœur. C’est que la reine de Pologne, la soi-disant amie de la France, profitait de ce qu’elle était logée chez le maître de poste de Dantzig, pour se faire un jeu d’intercepter les lettres de Varsovie à l’adresse de Versailles, passant par ses mains. Elle poussait même l’ironie jusqu’à renvoyer les enveloppes vides à leur auteur.

  1. 3 mai 1697. A. E.