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Entre deux, ou avant deux amours, se place le mariage avec Mario Uchard (1853), homme de bourse qui, fort à propos, quitta les affaires pour écrire des romans et des comédies, mariage dos à dos, le faux pas légitime comme on dit alors, consacré par un fils, terminé par une séparation ; — puis la fugue en Russie (1856-1858), l’enfant prodigue accueillie à bras ouverts quand elle revint, le refus maladroit de jouer dans les Effrontés le rôle de la comtesse abandonnée par Sergine : « Je ne suis pas encore d’âge à jouer les femmes qu’on quitte. » Le rôle fut accepté par Plessy, et poussa celle-ci au premier rang.

Les années coulent ; les attraits de Madeleine s’épanouissent, elle préside à la Comédie le cortège des beautés grusses, qui s’appelaient : Édile Riquier, Bonval, Nathalie, Guyen-Provost, Pauline Granger, Victoria Lafontaine. Celles-ci triomphaient rue Richelieu sous le proconsulat de Thierry, de même que les blondes, les brunes ont leurs périodes ou leurs siècles de gloire. Sous la dictature de Perrin, changement de tableau, l’engouement va vers les poétiques maigreurs, vers celles que Francisque Sarcey appelle joliment les énigmatiques ibis, qu’il compare « au blanc peuplier ou au jonc cueilli sur les bords séraphiques du lac de Lamartine : » Telles, Sarah Bernhardt, Croizette, Tholer, Lloyd. Pendant le règne habile et heureux de M. Claretie, les deux théories comptent des succès à peu près égaux, ou plutôt elles se fondent dans un juste milieu aimable. Madeleine allait quitter la Comédie quand M. Claretie arriva au pouvoir, toutes ses instances ne purent la retenir.

On attribuait à Augustine les bons mots qui n’avaient pas d’auteur reconnu, ou qu’on croyait oubliés, comme on les attribua jadis à Talleyrand qui se moquait de ces cadeaux anonymes : « Ils ont trop d’esprit ! Ils me feront mourir ! » Augustine avait aussi beaucoup de brio : elle signait des pièces de théâtre médiocres, des chroniques meilleures au Figaro, décochait prestement l’épi gramme. Tout de même, le dossier de Madeleine semble plus complet, et les malins disaient en riant : « Madeleine a tout l’esprit qu’on prête à Augustine. » Au besoin, la première griffait, égratignait jusqu’au sang, car il est difficile de parler des gens sans les endommager quelque peu ; les mots sont comme les enfans, ils veulent sortir, et on ne les retient pas longtemps. Alors, direz-vous, cette fameuse réputation de bonté ? Elle était à peine surfaite : il y a tant de genres de bonté ! Il est