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déployée : « Te voilà, l’épanoui ? » Puis montrant son verre : « Petite musique chantée sans goût, du Paul Henrion, ou de l’Etienne Armand, tout au plus… Enfin nous nous rattraperons là-haut tout à l’heure avec du Gluck et du Mozart… A la tienne, Arnold ! gnouf ! gnouf ! » Et de rire. Roger admirait et aimait Duprez : quelqu’un prétendant qu’il ouvrait trop la bouche en chantant : « Qu’est-ce que cela fait ? interrompit Roger. Dans ce large moule du rythme, il sait mettre du bronze, et s’il ouvre la bouche trop grande, au moins on lui voit le cœur. »

Pendant un voyage que Berryer, appelé par Charles X et la duchesse de Berry, fit en Allemagne (1836), il s’arrêta quelque temps auprès de la grande-duchesse de Bade, avec laquelle il avait une alliance de famille : elle tenait une cour assez brillante où s’empressaient les princesses de Lieven et Troubetzkoï, Mmes Davillier, de Bastard, de Bastillat, les princes Emile et Frédéric de Hesse, la comtesse Rossi. Un petit complot s’organisa pour faire chanter celle-ci, au moyen d’une comédie représentée chez lady Pigott. Berryer tenait l’emploi de père, la comtesse était sa fille, et le sollicitait de consentir à son mariage : il s’y refusait. Tout à coup, il tire un cahier de musique roulé dans sa robe de chambre, et le présentant à Mme Rossi : « Non, non !… Pourtant, si vous chantiez ces variations qui me charment toujours, je ne sais ce que je pourrais faire. — Mais ce n’est pas cela, objecte la comtesse. — Si, si, reprend Berryer, je sais bien ce que je dis. » En même temps, un piano prélude, les spectateurs applaudissent, Mme Rossi sent sa volonté fléchir, et chante comme en ses plus beaux jours. Un de ses auditeurs écrivit après cette fête : « Elle m’a produit l’effet d’un rossignol chantant sur un rosier blanc et faisant tomber sur les fleurs une pluie de gouttes, de la plus fraîche et de la plus brillante rosée. »

Mmes Sontag, Naldi, et Sophie Cruvelli, qui épousèrent le comte Rossi, ministre du roi de Sardaigne, le comte de Sparre, le vicomte Vigier, ont justifié le choix de leurs maris par la dignité de leur attitude, et se sont fait dans le monde une place égale à celle qu’elles occupaient au théâtre. Vingt ans après le mariage ; en 1848, quand la fortune du comte Rossi périclita, Henriette Sontag reprit le chemin du théâtre, aussi simplement qu’elle l’avait quitté, et retrouva sur la scène des succès presque aussi grands qu’autrefois.