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chrétiens dont il allait se vouer à combattre et à ruiner l’influence. Car, si le premier représentait à ses yeux ce que nous avons dit : une conception de la vie qui, en mettant l’objet de la vie hors d’elle-même, semblait enlever aux mondains et à l’humanité même leurs raisons de vivre, le second, plus facile à comprendre et à suivre, parce que son génie moins farouche avait réconcilié la méditation de la vie future avec les obligations de la vie présente, était des plus dangereux. Mais s’il voyait ce qu’il fallait détruire, ne voyant pas encore comment il le remplacerait, Voltaire avait besoin d’un supplément d’expérience et de réflexion. Une seule fois encore, à Girey, pour complaire à Mme du Châtelet, il essayera d’arranger sa vie selon un rêve de tranquillité dont son tempérament ne s’accommodera pas longtemps. Puis, reprenant son rôle d’incomparable agitateur d’idées, il rentrera dans l’action, plus ardent que jamais, et plus âpre à la lutte. Avant de l’y suivre, c’est donc ici le moment de nous arrêter, où finit sa jeunesse ; et, en anticipant un peu sur l’ordre naturel des temps, c’est le moment d’étudier l’artiste dans son œuvre, avant le combattant dans le fort de l’action.


FERDINAND BRUNETIERE.