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LES COMÉDIENS
ET
LA SOCIÉTÉ POLIE

II[1]

A travers mes lectures[2] et les impressions d’amis qui ont connu ou entendu Rachel, celle-ci m’apparaît tantôt duchesse et tantôt gavroche, avec des allures de reine entremêlées de réflexions cyniques ou bouffonnes, l’esprit vif, naturel, la conversation pleine de saillies, une séduction infinie, l’art de se faire humble pour obtenir ce qu’elle désirait, l’élégance de la tournure et de la toilette, la voix grave, austère même, « espèce de contralto nerveux et doux, harmonieux et pénétrant, » ramenant tout à son art, par exemple disant à Legouvé, qui venait de lui lire en perfection Adrienne Lecouvreur : « Comment n’avez-vous pas pensé à vous faire comédien ? » et, après avoir entendu Guizot à la Chambre : « Que j’aimerais à jouer la tragédie avec cet homme-là ! » — mobile, quinteuse, se riant des engagemens et des promesses, assez portée vers la mystification. Ainsi Viennet, qui poussait l’hypertrophie du moi à ses dernières limites, tout en ayant beaucoup d’esprit, propose de lui lire une pièce ; elle se confond en remerciemens, feint d’accepter avec joie ;

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1910.
  2. Voyez la Revue du 15 juin 1910.