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Seule Bianca, qui avait toujours sacrifié sa dignité à son amour, eut, dans le suprême péril, la dignité dont manquaient tous ces cœurs sans amour. Se sentant très mal, elle fit appeler son confesseur et lui dit : « Faites mes adieux à mon seigneur Francesco de Médicis et dites-lui que je lui ai toujours été très fidèle et très aimante ; dites-lui que ma maladie n’est devenue si grande qu’à cause de la sienne et demandez-lui pardon si je l’ai offensé en quelque chose… » L’homme, auquel ce message s’adressait, gisait dans une chambre à côté, déjà sans vie. Le bruit, les allées et venues insolites, le piétinement des chevaux et le roulement des véhicules partant pour Florence dans cette fuite éperdue qui suit la mort des rois, les larmes mal retenues de certains visages, la joie mal contenue de certains autres, l’apparition subite dans sa chambre de deux cardinaux : le cardinal grand-duc son beau-frère et le cardinal archevêque de Florence, tout cela dit assez à la malheureuse agonisante que son seul soutien sur la terre n’était plus :


S’il vit, je vy, s’il meurt, je ne suis riens :
Car tant son âme à la mienne est unie,
Que ses destins seront suivis des miens…


avait-elle dit souvent, en prose, à la suite de notre Ronsard. Le moment était venu de tenir sa parole. Elle la tint. Onze heures ne s’étaient pas écoulées qu’elle expirait, montrant, par cette maîtrise sur ce qui est le moins maîtrisable au monde, qu’il y avait en elle autre chose que l’ambition d’une courtisane, et que sa sorcellerie était surtout faite de son amour.

Il se passa alors une scène telle que, pour la peindre, il eût fallu hâter la naissance d’un Zurbaran ou d’un Valdès Léal. Pellegriria, voyant mourir sa mère, ne perdit ni sa tête ni son temps. Il y avait, là, un homme qui lui était dévoué, le confesseur de la mourante, un certain Père Maranta. File lui dicta une déclaration émanée, disait-elle, de la bouche même de Bianca Cappello, par laquelle celle-ci lui laissait tout l’argent alors entre les mains du dépositaire, en outre de 5 500 scudi à son secrétaire et à son échanson. La mourante ne pouvant apposer sa signature à cette déclaration, on pria le médecin, puis l’évêque Abbioso et le Père Maranta lui-même, de signer pour elle, certifiant que c’étaient, là, ses dernières volontés.

« Immédiatement, raconte l’évêque Abbioso, l’acte fut porté à lire à la grande-duchesse, laquelle était soutenue par quelques