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avait cette habitude. Il s’ajouta l’aggravation de don Gartia et puis la mort ; malgré que nous la lui cachions, elle était si anxieuse et ne pouvait dormir de sorte que tous les jours elle s’aggravait ; d’elle-même elle se désespérait et s’affligeait tant, qu’elle faisait pis que si elle avait su la mort. Mais malgré que nous ne la lui disions pas, elle avait tant d’intelligence quelle s’aperçut certainement qu’il était mort ; alors il nous parut mieux de lui dire qu’il était assez mal et de l’entretenir avec cela que de lui nier tout. Ainsi, à la fin, d’elle-même, elle commença à se calmer, à l’extérieur, et dire qu’elle acceptait, comme bienfait, la mort de don Gartia, et malgré que nous la lui niions, elle ne voulut jamais accepter autre chose. Cela continua trois jours, puis une mauvaise fièvre survint, laquelle, en deux termes, cessa, et il lui resta ses fièvres avec grande inappétence. Mais sur mes instances, elle se nourrissait beaucoup plus qu’elle ne l’avait fait dernièrement et elle en avait besoin parce que, pendant la mort du cardinal, elle resta trois jours où presque elle ne mangea, ni ne dormit. Et toujours, depuis l’été passé, elle eut cette toux qui, tu sais, lui était habituelle et maintenant d’autant plus. C’est pourquoi ce catarrhe augmenta tellement qu’il commença à l’empêcher de bien respirer et la fièvre pourtant diminuait ; ne pouvant durer encore beaucoup de jours, avec un sentiment et un courage extraordinaires, parlant toujours, elle se confessa trois jours avant et communia ; elle demanda, un jour avant, l’extrême-onction et fit d’abord, en ma présence, un très honorable testament, pensant ainsi d’abord à l’âme et puis à ses serviteurs ; on peut dire que presque dans mes bras elle rendit son âme à Dieu ; étant restée deux jours avec son entière connaissance, attendant la mort, presque toujours avec le crucifix à la main, et étant assise sur le lit, parlant simplement de la mort comme si c’était une affaire quelconque, et jusqu’à la dernière heure elle parla et reconnut tout le monde comme si elle avait été en santé[1]… »

  1. Cette lettre est-elle d’un assassin racontant la mort de sa victime ? La question ne se posait même pas pour les chroniqueurs du XVIIe et du XVIIIe siècle : N le meurtre d’Éléonore de Tolède par le duc Cosme était article de foi. Elle ne se pose pas, davantage pour les historiens modernes : c’est une fable ridicule. La publication intégrale des lettres du duc Cosme à son fils, corroborée par les lettrés privées de Sarguidi, auditeur du nonce pontifical, en Toscane, a épuisé le débat. Il n’y est pas fait allusion, ici, parce que c’est la physionomie d’Éléonore de Tolède et non celle de son mari qui nous occupe.