Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/366

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle, Éléonore, apparaît dans des tons de vieux cuir de Cordouan, captive d’un treillis d’or ponctué de perles, comme une résille jetée sur son manteau doré, qui s’ouvre sur un corsage rouge framboise, les mains languissantes, aux doigts fuselés, blancs, toujours à la poursuite de quelque perle… Elle est couverte de ces bijoux qu’elle a pris dans le cabinet à côté : deux pent-à-col, des pierres lourdes, massives, et des perles, toujours des perles qui tombent, goutte à goutte, sur les épaules, les bras, les mains, une pluie qui deviendrait une chaîne… On reconnaît, ici, sa passion pour ces grosses perles qu’elle aimait pardessus tout, et qu’elle forçait son mari à lui acheter des prix fous, tandis que le Palais Vieux retentissait des sarcasmes de Benvenuto Cellini, qui les appelait des « os de poisson ! » Les signes du zodiaque tournent autour d’elle et partout, sur les murs, des amoretti jouent. En face d’elle, dans la lunette opposée, le duc Cosme se tient implacable, secret, couvert de fer. Son mari, ses enfans, ses bijoux : tout ce qui occupait son âme semble ramassé ici, sous la voûte basse de ce Tesoretto

Etait-ce là tout, pourtant ? Cet horizon radieux de Naples qu’elle avait quitté si jeune, ne l’a-t-elle jamais regretté ? Ces crimes que son mari venait de commettre quand elle vint ici, ne les a-t-elle jamais connus ? Ces passions qui devaient faire à ses enfans des destinées tragiques, ne les a-t-elle jamais pressenties ? Nous ne le savons pas. Tout, dans ses paroles et dans sa conduite, nous montre une âme acclimatée à l’horrible atmosphère où elle est venue vivre. Elle y respirait normalement Son grand souci était de garder ses filles de tout péché, de les tenir fermées dans le palais, comme des nonnes en un cloître, visibles seulement pour les dames de la Cour et pour leur vieux catéchiste. Son soin constant était d’aider son mari, de ses deniers, de son influence à la Cour d’Espagne, de ses conseils. Le duc Cosme l’aimait. Il lui vouait ce peu de bon qui subsiste toujours dans les pires âmes, comme pour témoigner qu’après tout, ces âmes ne sont qu’humaines. C’était un bon mari comme c’était un bon père, magnifique en ses cadeaux, adroit en ses paroles, ingénieux en ses divertissemens. Il y a toute une vie du duc Cosme, faite de scandales et d’intrigues avec la Leonora degli Albizzi, avec la Camilla Martelli. Mais cette vie ne commence qu’après la mort de la duchesse. Elle ne le connut que fidèle.