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se pendent à la cape de l’orfèvre et l’agacent de mille manières. Le soleil, qui se couche derrière les Cascine, envoie ses rayons juste droit dans les fenêtres du palais sur la place de la Seigneurie. On entend monter, de la loggia dei Lanzi, les rumeurs grossières du corps de garde. La mère rêve, les enfans jouent : A quoi ? Les enfans inventent parfois des jeux étranges : s’étrangler, faire le mort, parodier des scènes d’assassinat… Que présagent ces gestes ? Que deviendront-ils quand ils auront quitté leur aire, pris leur vol « hors du charnier natal ? »

Maria, l’aînée, est une enfant prodige, qui sait le grec, le latin. On a, déjà, fait faire son portrait quand elle était une enfant, parle Bronzino. Nous voyons sa petite personne sérieuse et intelligente aux Uffizi, bien installée dans son fauteuil, comme une petite dame, avec cette gravité précoce de ce qui dure peu. On songe à en faire une duchesse d’Esté. Elle ne le sera pas, elle mourra dans trois ans, à Pise, emportée par les fièvres, et l’on dira un jour quelle a été empoisonnée par son père pour avoir aimé un page.

Lucrezia, elle, connaîtra un peu plus du monde avant de le quitter : elle ne mourra d’une pneumonie infectieuse qu’après les Splendeurs de son mariage avec le duc de Ferrare. Mais ce sera en exil, loin de ses parens, et à cet âge fatidique de dix-sept ans que sa sœur aînée n’aura pas dépassé. Et l’on dira qu’elle a été empoisonnée par son mari pour ne lui avoir point été fidèle.

Isabella, qui est la plus séduisante des filles d’Eléonore, épousera le prince Paolo Giordano Orsini, duc de Bracciano ; elle sera étranglée par son mari, un soir, dans une villa isolée près d’Empoli, au moyen d’une corde tombant d’un trou ingénieusement pratiqué dans le plafond. Et l’on dira que c’est pour la punir de nombreuses infidélités.

Les garçons Giovanni et Garzia, pétulans bonshommes de onze et sept ans, nous sont connus. Giovanni, c’est le jeune cardinal, peint par le Bronzino, barrette en tête, fine moustache à la lèvre, qui est à la villa de Poggio a Gaiano ; Garzia, c’est le petit chasseur joufflu, armé d’un arc, qui est de l’autre côté de l’Arno, au bout du pont couvert, au Pitti. Ils mourront tous deux entre les bras de leur mère, à Pise, d’une fièvre pernicieuse prise en traversant, les Maremmes, et elle-même brisée par la fatigue, à leur chevet et atteinte par la contagion, succombera quelques jours après eux. On racontera ensuite que Giovanni a