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femmes honnêtes. Mais l’histoire de la sbernia demeurait un trait fâcheux dans l’image que les Florentins malveillans répandaient de la nouvelle arrivée.

Et ce trait était vrai, mais il y en avait tant d’autres ! Et ses admirateurs ne manquaient pas de citer ceux-ci, tout aussi authentiques : Tullia d’Aragon était une poétesse de mérite. On savait d’elle des sonnets délicieux. Celui du Rossignol était célèbre. Elle chantait si doucement qu’on oubliait la beauté de sa bouche, parlait si sagement qu’on oubliait la douceur de son chant, se mouvait si noblement que sa démarche faisait oublier tout le reste. On en voit quelque chose dans notre portrait de Brescia, que M. Guido Biagi a identifié, d’après une tradition constante, pour être celui de cette Tullia d’Aragon. A la vérité, l’inscription qui désigne Salomé paraît gêner un peu l’hypothèse. Mais M. Guido Biagi écarte cet obstacle en un tournemain. Le portrait a longtemps appartenu à un couvent de religieuses auquel il a été acheté par le comte Tosio en 1829. Le nom d’une courtisane qui avait enchanté les hommes de son temps eût fait de cette figure un objet de scandale pour les nonnes. Elles mirent à la place celui d’une danseuse qui fit couper la tête à un saint : alors cela devenait édifiant.

Cette jolie tête, nue, sans parure autre qu’un casque de tresses et de perles, qui se couche sur un fond de lauriers, ces grands yeux insinuans, cette bouche demi-ouverte comme exhalant un soupir sans fin, ce cou souple, cette attitude penchée et comme accablée sous le poids du manteau fourré et du sceptre, tout cela intrigue et renseigne celui qui le regarde à la façon dont étaient renseignés et intrigués, en 1546, les gentilshommes de Florence. Car, même à quarante ans, elle ressemblait encore, paraît-il, à ce portrait. Niccolo, Martelli assure qu’« elle était si belle que sa figure délicate conservait cette expression angélique qu’elle avait eue autrefois » et s’adressant à elle, il lui dit : « La blancheur de votre teint, qui éclipse l’albâtre et la neige la plus pure, s’est conservée fraîche grâce à votre modération et à votre continence, non seulement pour la table, mais pour toutes choses, de sorte que vous apparaissez encore aux yeux comme portant sur votre figure les signes gracieux de l’amour. »

Ceux qu’avaient attirés ses yeux languissans étaient retenus par les souplesses de son esprit. A Rome, elle rassemblait