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tendresse, se jette, d’un élan spontané, dans les bras du vainqueur, dans les bras de celui dont désormais elle attend tout, la fortune, la gloire et la paix. Bonaparte, à présent, et pour la première fois, est véritablement le maître ; il tient en main sa destinée, il est libre de suivre et d’élargir ses vues, de se dégager des partis, de refaire à son gré la France.

Tel est l’admirable sujet que Vandal a conçu et qu’il a mené jusqu’au bout sans un instant de défaillance. Par la noblesse des proportions, par la vigueur du style, par la profondeur des pensées, l’Avènement de Bonaparte est vraiment un grand livre, un des plus beaux livres d’histoire qu’on ait jamais écrits.


VII

Quelle somme de labeur représente une œuvre de cette envergure, on peut l’imaginer, et l’on comprend aussi quelle dépense de force nerveuse résulte d’un pareil effort. C’est à dater de cette époque que la santé d’Albert Vandal, frêle de tous temps, parut insensiblement décliner. Il continuait de travailler, mais il hésitait, disait-il, à se lancer dans un ouvrage de longue haleine. Une part importante de son temps se trouvait, du reste, absorbée par le cours qu’il faisait à l’Ecole des Sciences politiques. Il y occupait, d’ancienne date, la chaire des affaires d’Orient ; à la mort de Sorel, il fut chargé d’y enseigner l’histoire diplomatique de l’Europe contemporaine, tâche lourde et difficile, où, avec son talent, il apporta, comme à toutes choses, une conscience scrupuleuse. De ses profitables leçons, les étudians qui fréquentent la maison de la rue Saint-Guillaume conservent pieusement la mémoire. L’un d’eux, ces temps derniers, en quelques pages émues ravivait ces souvenirs[1]. Il le représentait « arrivant dans l’amphithéâtre, droit, élégant, la taille serrée dans une longue redingote ; » puis, ouvrant un cahier de notes, qu’il installait sur un pupitre, « les coudes appuyés, les mains jointes, » il commençait à parler d’une voix claire. Il n’improvisait pas, mais il ne lisait pas non plus : l’exactitude de sa mémoire lui permettait de redire, presque mot pour mot, la leçon préparée dans le silence du cabinet. C’était, dans une langue impeccable, un exposé net, méthodique, émaillé de

  1. Quelques notes et souvenirs sur Albert Vandal, par C.-N. Desjoyeaux. Correspondant du 10 septembre 1910.