Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour satisfaire à leur soif d’idéal, ils ont dû se désaltérer dans les gloires du passé ; pour fuir le découragement du présent, ils n’ont trouvé d’autre refuge que dans les mirages étincelans de nos grandeurs défuntes ; pour se consoler de Sedan, ils n’ont eu qu’Austerlitz.


Dans l’ombre des deux grandes figures qui dominent tout l’ouvrage, passent des figures de second plan, dessinées d’un trait aussi ferme : Talleyrand, d’abord, avec son masque énigmatique, « toujours un pied dans l’intrigue et l’autre dans la trahison, » cherchant, à l’heure même où rayonne l’étoile triomphante de César, à se précautionner d’avance contre les retours de fortune ; et, par opposition, l’honnête, le fidèle Caulaincourt, duquel, grâce à des documens inédits d’un prix inestimable, Vandal a, le premier, pleinement mis en lumière la physionomie sympathique, chevaleresque, vaillante, si joliment française ; et c’est encore l’excellent Savary, robuste batailleur, « le verbe haut, toujours à la riposte, » opposant aux cabales de cour et aux assauts diplomatiques son inébranlable entêtement et sa verte franchise, ses qualités de rude gendarme. Dans l’autre camp, même galerie de pointes sèches, gravées aussi d’après nature : le vieux prince Kourakine, ambassadeur de Russie à Paris, monstrueux d’embonpoint, fastueux, pompeux, vain de ses habits de brocart, de ses décorations multiples, dont il constelle jusqu’à ses robes de chambre, lourd au moral comme au physique, si facile à berner que ses contradicteurs n’y prennent même plus plaisir ; et, à côté de ce fantoche, le véritable agent de la diplomatie du Tsar, le louche, l’inquiétant Tchernitchef, observateur subtil de la société parisienne, espion mondain et militaire, pratiquant des intelligences dans les en tours mêmes de l’Empereur et dans les plus secrets bureaux du grand état-major. Ce sont enfin quelques belles silhouettes féminines : la veuve de Paul Ier, l’impératrice douairière Marie Feodorowna, digne, imposante, austère, décorée du double prestige de l’âge et du malheur, employant l’ascendant qu’elle a conservé sur son fils à contenir l’engouement sincère que lui inspire Napoléon, l’intimidant par sa réserve hostile et son silence glacé ; et aussi la reine Louise de Prusse, « divinement belle, avec la grâce un peu languissante de son maintien et l’élégance vaporeuse de sa toilette, » s’efforçant, à