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supérieur, l’autre remarquable, » chacun personnifiant à sa plus haute puissance le génie spécial de sa race : l’un le génie latin, « dans sa rayonnante clarté, dans son alerte vigueur[1], » toujours maître de sa pensée, toujours pratique et positif jusque dans ses déréglemens, subordonnant toujours son imagination, si ardente, si fougueuse soit-elle, au joug souverain de la logique ; l’autre, le Slave, « tenant des races du Nord le goût des aspirations hautes, indéterminées et brumeuses, » séduisant et décevant, généreux et perfide, « passant sa vie à changer d’idéal, » mêlant à ses conceptions les plus nobles quelque chose de flottant, d’irréel et de chimérique. « Napoléon c’est l’action, Alexandre c’est le rêve. » Tout le long de la trilogie, se complète et se recommence, sans cesse repris, sans cesse accru de traits nouveaux, le portrait des deux hommes qui se disputent l’empire du monde. Et la main qui tient le pinceau ne faiblit jamais un moment ; jamais il ne se vit peintre plus pénétrant, plus soucieux de la ressemblance, plus amoureux de vérité.

Mais qui dit impartial ne dit pas impassible. De ce qu’il ne prétend charger, ni flatter ses modèles, on aurait tort d’induire que devant eux Vandal demeure indifférent. S’il rend justice à Alexandre, tout son cœur, on le sent, va vers Napoléon, toute son admiration est pour l’homme de génie, « dont le pouvoir magique exalta au suprême degré les qualités d’honneur, de bravoure, d’obéissance et de dévouement qui sont bien celles de notre race, pour celui qui, après avoir réconcilié notre nation avec elle-même, en fit une armée de héros et éleva pour un temps le Français au-dessus de l’homme[2]. » Qu’il s’abandonne à cette patriotique ivresse, qu’il soit indulgent pour les fautes en faveur de la gloire, qu’il pardonne au plus grand des hommes d’avoir assujetti la France à son impérieuse volonté en songeant qu’en même temps il lui asservissait l’Europe, qui aurait le courage de le reprocher à Vandal, de ceux qui appartiennent à sa génération ? Ceux-là, en effet, n’ont pas eu leur part de fierté nationale ; parvenus à l’âge d’homme au lendemain des défaites, ils n’ont connu que l’humiliation, l’amertume, la déception des revanches en vain espérées, le regret dépité des occasions perdues et la rancœur des rêves inassouvis.

  1. Napoléon et Alexandre Ier, tome I.
  2. Ibidem. Avant-propos.