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extrémités de l’Europe. Il se défend d’aller plus loin et de viser, à travers les faits qu’il énonce, les événemens contemporains. Porter dans l’étude du passé la préoccupation obsédante du présent ne lui paraissait bon qu’à obscurcir la vue de l’historien, comme à fausser les réalités de l’histoire. Le jeu facile des allusions ne le tenta d’ailleurs jamais ; c’était le fâcher à coup sûr que d’en découvrir dans ses livres : « Non, non, protestait-il, pas d’allusions, tout au plus des analogies. » Il admettait pourtant que l’exposé des fautes anciennes pût suggérer des leçons profitables, en démontrant, comme il le dit dans le volume qui nous occupe, qu’« à aucune époque de son histoire, la France n’eut le droit de se désintéresser des problèmes qui agitent le Nord et l’Orient de l’Europe, et que, de la politique adoptée par elle dans ces questions, dépendent souvent le maintien, la ruine ou le rétablissement de son influence en Europe. »

Sur la trame soutenue du récit, se détachent çà et là, avec un vif relief, quelques dramatiques épisodes, entre autres le récit de la Révolution du 6 décembre 1741, qui mit le sceptre aux mains d’Elisabeth Petrowna : en ces pages sobres, brèves, mais pleines de mouvement et de vie, on voit poindre distinctement l’historien de Brumaire. Et déjà il possède aussi le talent des formules concises, enfermant en une courte phrase toute la substance d’une longue étude. Tel est ce résumé, à la fin du volume, de la pensée intime de chacun des protagonistes du drame : Pierre le Grand, écrit-il, concevait l’union de la France et de la Russie « comme une nécessité de principe, sa fille la considérait comme un mariage d’inclination, et Louis XV ne l’envisageait que comme un rapprochement de circonstance. » Peut-on mieux dire en moins de mots ? Dans les œuvres de son âge mûr, sans doute admirera-t-on une langue plus savoureuse, une composition plus serrée, un art plus consommé à mettre les figures et les faits à leur plan. Louis XV et Elisabeth de Russie est le livre d’un débutant, mais d’un débutant qui est près de devenir un maître.


Des coquetteries échangées entre Elisabeth et Louis XV aux amours orageuses d’Alexandre Ier avec Napoléon, le passage était naturel ; on pourrait croire que ce premier ouvrage eût mené tout droit son auteur à celui qui consacrera sa réputation