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sensible à toutes les élégances, au point d’aimer dans le printemps, non pas seulement le retour des beaux jours, mais aussi celui des robes claires, des fraîches toilettes, des futilités féminines qui ravissaient ses yeux. Puis, aussitôt que le propos s’élevait, on admirait en lui une inépuisable réserve de notions et d’idées, le savoir le plus étendu, mais un savoir qui ne se montrait qu’à regret et qu’il semblait considérer comme une quantité négligeable.

Il parlait peu de soi, et presque jamais de ses œuvres. Fût-ce avec ses meilleurs amis, sur ce chapitre il se laissait rarement glisser aux confidences ; il détestait d’annoncer à l’avance ses livres encore en projet. Les complimens, pour peu que l’on y insistât, lui causaient une humeur qu’il dissimulait à grand’peine. Non qu’il ignorât sa valeur, ni qu’il professât du dédain pour l’opinion d’autrui. Il aimait le succès, mais il fuyait la louange. Il causait volontiers littérature, histoire, jugeait l’œuvre de ses confrères avec une intelligence avertie et la plus sincère indulgence, mais, dès qu’il s’agissait de ses propres travaux, il se taisait, détournait l’entretien, le faisait dériver vers un autre terrain ; ou, s’il parlait de ses ouvrages, c’était sur un ton détaché, un ton de plaisanterie, comme d’un objet sans importance. A qui n’eût connu son mérite, par instans, ce grand historien, cet écrivain de race eût donné l’impression d’un homme du monde frotté de lettres, de quelque amateur distingué, faisant de l’histoire à ses heures, comme d’autres font du sport, du tennis, de l’équitation. Maupassant, assure-t-on, avait une coquetterie pareille.

Pour goûter pleinement tout son charme, il fallait entendre Vandal dans l’abandon d’une causerie familière, pendant ou après un dîner. Là, il était vraiment lui-même, et il lâchait la bride à son charmant esprit. Mais encore fallait-il que la soirée fût accommodée à son goût. Il avait, en effet, l’horreur profonde du « grand dîner, » du dîner d’apparat, de la carte forcée des invitations envoyées six semaines à l’avance, du défilé sans fin des viandes, des desserts et des vins, de la cohue bigarrée des convives, rassemblés au hasard comme des badauds autour d’un accident, du voisinage de deux dames bienveillantes, qui vous parlent de vos ouvrages. Quand il n’y pouvait échapper, il s’y rendait comme au supplice. En revanche, combien il prisait l’intimité d’un petit groupe d’amis, autour d’une table bien servie,