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que morte, oubliée. Nulle raison de principe ne l’éloignait d’ailleurs de la République libérale. Ni blanc, ni rouge, mais obstinément bleu, c’est la formule à laquelle toute sa vie il demeurera fidèle. Si personne plus que lui n’éprouva de l’horreur pour la tyrannie jacobine, ne flétrit plus éloquemment le régime terroriste, personne aussi ne rendit un plus bel hommage aux indiscutables bienfaits du mouvement de 89, à « cette évolution qui se poursuivait sourdement vers un avenir amélioré en bien-être, en justice et en liberté[1], » apportant aux déshérités plus de douceur de vivre, à tous une équité supérieure dans les lois.

Mais, tout en se ralliant au parti libéral, il était loin, dès cette époque, d’en adopter toutes les doctrines. En pratiquant les rites du culte, il n’avait pas la dévotion complète, et s’il aimait la liberté, il n’avait pas une foi aveugle aux vertus de l’idole. C’est ce qu’il confessera franchement, quand, après avoir loué l’un des chefs de l’école, il ajoutera cette restriction : « Son erreur fut trop souvent de confondre un moyen avec un but. La liberté est un moyen donné à l’homme de développer toute sa valeur, elle ne crée point elle-même cette valeur, elle sert à tout, mais ne suffit à rien[2]. » Cette note s’accentuera bientôt. C’est qu’en avançant dans la vie, à la lumière des événemens, il sentait davantage, pour un pays bouleversé comme la France, la nécessité primordiale d’une autorité vigoureuse, d’un maître dirigeant qui guidât la démocratie et la protégeât contre elle-même. Il en avait trouvé un incomparable modèle en étudiant de près l’œuvre du Consulat ; il appelait de ses vœux l’homme qui, à l’heure présente, serait de taille et de disposition à reprendre un tel rôle. C’est ainsi qu’il était ramené à son point de départ, qu’il redevenait peu à peu un bonapartiste fervent, mais, comme on l’a justement remarqué[3], un bonapartiste spécial et dont il se voit peu d’exemples, un « bonapartiste de centre » et de juste milieu. Le régime idéal que, pour sortir de la crise angoissante où nous nous débattons, il eût souhaité dans ces dernières années, il l’a défini certain jour d’un mot qui mérite de rester : il l’a nommé « l’arbitraire libéral. »

En aucun temps, d’ailleurs, il n’eut le goût de se mêler à la

  1. L’Avènement de Bonaparte, avant-propos.
  2. Discours de réception à l’Académie française.
  3. Albert Vandal, par Louis Madelin. Revue hebdomadaire du 17 septembre 1910.