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s’élever à des hauteurs inouïes et pour tromper sa femme. Je n’ai pas bien compris ce jeu conjugué de l’adultère et de l’aviation. La galanterie en aéroplane, dirait Mme Cardinal, comme c’est probable ! Le second acte est consacré à attendre cet aviateur qui doit atterrir, cette nuit, dans le jardin de l’hôtel et sous les yeux d’une foule enthousiaste. Il ne me semble pas que l’aviation eût encore été appliquée à la littérature dramatique. Nous sommes en pleine actualité.

Le jeune millionnaire doit craindre de ne pas être aimé pour lui-même. Monique Méran, pour lui plaire, a renoncé au théâtre. Mais a-t-elle renoncé à sa liaison avec un camarade de planches, Barroy ? Tel est l’angoissant problème que retourne en tous les sens l’infortuné Brizay. Il n’y trouve qu’une solution, mais qui est précisément celle que devait trouver cet imbécile : c’est d’épouser Monique.

Le jeune millionnaire est exposé à passer à côté du bonheur. Car le bonheur est là, tout près : il s’appelle Ginette Dubreuilh. La petite fleur de trottoir, depuis qu’elle a été soudainement enrichie par Brizay, s’est éprise pour son bienfaiteur d’un amour désintéressé et pur. Afin de rester fidèle à ce culte idéal, elle refuse les propositions alléchantes et menaçantes du financier Mourmelon. Et aussi elle vilipende et calomnie son amie Monique. Elle fait de son mieux, la pauvre enfant ; elle fait tout ce qu’on peut attendre d’une grue vertueuse et passionnée. Mais Brizay préfère partir en voyage avec Monique qui déjà ne l’aime plus guère. Ginette, qui aime Brizay, deviendra la maîtresse de Mourmelon. Triste ! triste !

Le Marchand de bonheur est une pièce qui plaira. Elle est brillante, chatoyante, bien mise en scène : il y a, à mon gré, un peu trop de philosophie ; mais ce n’est qu’une nuance.

Le succès de l’interprétation, qui a été très vif, revient pour une bonne part à Mlle Lantelme, tout à fait remarquable dans le rôle pittoresque de Ginette. L’excellent comédien Lérand exprime à la perfection l’incurable tristesse qui convient à un auteur gai. M. Becman, chargé du rôle de René Brizay, le marchand de bonheur, est un nouveau venu. Il jouera bien les Werther. Mais la gaieté ne semble pas être de son emploi : il n’a pas le sourire.


RENE DOUMIC.