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faut bien croire nos yeux, il en faut bien croire nos oreilles. Elle arrive, avec son air de province et de couvent, modeste dans sa robe étriquée, timide, les yeux baissés, la parole en sourdine. Tout de suite, les poings crispés, l’œil mauvais, la voix rugissante : « Je ne vous aime pas… Je vous ai prévenue… Je suis loyal. » Mieux encore : il reproche à la malheureuse de l’avoir épousé par intérêt ! ! « Je lis dans votre jeu. Bourgeoise, vous avez, voulu être marquise. Provinciale, vous avez voulu vivre à Paris. Vous avez circonvenu ma mère. » Ce gentilhomme a des trouvailles de grossièreté.

Il en a trop. À ce point, cela devient invraisemblable. Un homme, qui a fait ce marché, se croit tenu à certains devoirs qui sont précisément dans les termes du marché ; il témoigne certains égards à la femme qui porte son nom, à moins d’être le dernier des goujats… Mais, me direz-vous, pourquoi le marquis Roger de Montclars ne serait-il pas, si l’auteur l’a voulu ainsi, le dernier des goujats ?… Prenons-le donc tel qu’il est. Tel qu’il est, Fernande l’aime : le cœur a ses raisons.

Cette situation est exposée dans un premier acte, très clair et bien agencé, où nous faisons incidemment connaissance avec les autres personnages : Mme de Jussy, l’inévitable ancienne maîtresse ; le vieux de Ferney, l’oncle de Fernande, un brave homme, honnête et indulgent, qui a été pour sa nièce le meilleur des éducateurs et restera pour elle le plus prudent des conseillers ; un autre vieux, Nizerolles, un « vieux marcheur » celui-là, que tout le monde trouve délicieux et dont le rôle est d’ailleurs aussi inutile qu’il est déplaisant ; Pierre Vareine, l’ami du mari, qui tâchera de jouer son rôle d’ami — complètement.

Deuxième acte. Un bal dans le grand monde. Un mois s’est écoulé. Roger de Montclars l’a passé à Montreux auprès de sa maîtresse. Ce soir, le hasard d’une fête mondaine va le mettre en présence de sa femme. Il retrouve Fernande dans ce salon, mais il a peine à la reconnaître, tant elle est différente d’elle-même. Est-ce elle, la petite couventine d’il y a un mois, qui est devenue cette mondaine brillante et hardie, entravée et décolletée au point de causer quelque scandale, même dans un salon d’aujourd’hui ? Roger en demeure stupide, et nous-mêmes, nous sommes un peu étonnés. La métamorphose a été bien rapide. Tant d’assurance ne s’acquiert pas si vite. Pour apprendre à porter un minimum de robe, il faut plus de temps qu’à la couturière pour exécuter ce chef-d’œuvre d’indécence. Là encore il y a de l’invraisemblance. Les auteurs d’aujourd’hui ont délibérément pris le parti de ne