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te tromper. » Peut-être croit-elle rendre ainsi service à sa sœur en l’avertissant. Elle est assez sotte pour cela. Car Laure est une sotte. On l’étonnerait bien en le lui disant, mais c’est la vérité pure. Le premier trait de son caractère est précisément cette sottise foncière et cette maladresse innée qu’on découvre à l’origine de beaucoup d’infortunes.

En dépit de ses prédictions sinistres, le mariage de sa sœur semble bien tourner. Est-ce possible ? Une autre, et si près d’elle, réussirait dans l’aventure matrimoniale où elle-même a si piteusement échoué ! Allons donc ! Le spectacle de ce bonheur lui est pénible ; car une misère qu’on partage avec tout le monde est supportable, mais celle qui vous est particulière est deux fois plus lourde. Elle se console, comme elle peut, en songeant : « Cela ne durera pas. Cela ne peut pas durer. Attendons ! Sachons écouter et sachons voir !… » Vous me direz : C’est de la méchanceté. Mais oui, sûrement oui. On a coutume de n’en vouloir qu’à la méchanceté agressive, nettement déterminée, classée et cataloguée. Outre celle-là, qui n’est pas toujours la plus nuisible, il court par le monde et chemine dans le secret des cœurs beaucoup de méchanceté mal définie, dissimulée, fuyante et sournoise, et qui vaut bien l’autre.

Enfin Robert a trompé sa femme !… Sitôt informée de la nouvelle, escomptée depuis tant de semaines, quel parti va prendre Laure Ménars ? Elle pourrait aller trouver son beau-frère et lui faire peur. Je sais bien qu’il est capitaine de cuirassiers. Mais quand une honnête femme, de son clair regard, lit dans vos yeux de mensonge, on a beau être cuirassier et capitaine, on n’en mène pas large. Elle pourrait aller trouver la Baronne et la sommer de disparaître. Elle a plus d’un moyen de la tenir à sa merci ; et, au surplus, la lâcheté se rencontre souvent avec l’inconduite. Elle pourrait… A vrai dire, on peut discuter sur ce qu’elle pourrait faire. Mais il y a pour elle, sans discussion possible, une chose à ne pas faire, c’est d’aller tout découvrir à sa sœur. Elle n’y va pas seulement, elle y court ! Elle est de passage, elle n’a que deux jours devant elle ; mais c’est effrayant ce qu’on peut faire de mal en deux jours, ou en deux heures, quand on a le don ! Renseignée par elle, Ginette prend son mari en mépris, son union en horreur. Voilà un ménage brisé. Voilà un bonheur gâché. Tous mes complimens, madame : vous avez fait de joli travail !

Après cela, il restera que Laure s’emploie à réparer le mal où elle a une si belle part de responsabilité. Elle versera d’insipides larmes. Elle se répandra en consolations banales. Elle disculpera Robert. Elle