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va, elle aura traversé toute la fresque avant que la belle dame compassée qui la précède soit arrivée au lit de l’accouchée.

Si ce n’est pas Simonetta, c’est son symbole. Ainsi elle a traversé la vie. L’entrée de cette allégorie folle, incorrecte, prestigieuse dans cette scène grave et domestique que jouent les bonnes dames florentines du XVe siècle, c’est l’arrivée même de la Renaissance. Toutes les autres figures sont vraies, en des costumes de leur temps, font les gestes exacts, mesurés, utiles, de la servante qui apporte la collation à sa maîtresse, de la nourrice qui donne le sein au bébé, de la bonne qui lui tend les bras pour l’attirer à elle, de la visiteuse en cérémonie qui apporte ses complimens. Simonetta précipite dans tout cela un costume de fantaisie, une action incompréhensible, une exubérance inutile. Elle détonne, elle étonne, elle rajeunit. On sent que son arrivée va tout bouleverser dans cette chambre avec un souffle nouveau qui fait flotter les idées et les écharpes. Mous comprenons, dès lors, pourquoi elle fut tant aimée. Elle fut le retour de la fantaisie dans le monde.


III. — A SANTA MARIA NOVELLA. — LUCREZIA DE MEDICIS[1]

Ne quittons pas ce chœur de Santa Maria Novella sans regarder pour qui et vers qui se précipite Simonetta, c’est-à-dire la sainte Elisabeth assise sur son lit dans la chambre d’un palais du XVe siècle, avec un voile blanc sur la tête. Car voici une troisième figure de femme bien caractéristique des Florentines de ce temps. Cette dame mûre n’est autre que la mère des deux amans platoniques de Simonetta, Laurent et Julien de Médicis : c’est Lucrezia Tornabuoni, femme de Piero de Médicis, ou Pierre le Goutteux. La trouver ici, transformée en sainte Elisabeth, ne doit pas nous surprendre. De même que l’histoire de la république florentine n’est que l’histoire de quelques grandes familles : les Albizzi, les Tornabuoni, les Bardi, les Médicis, les Vespucci, les Pazzi, les Acciajuoli, projetée sur

  1. Portraits de Camilla Lucrezia Tornabuoni, épouse de Piero de Médicis, dit Pierre le Goutteux :
    Portrait présumé avec vraisemblance : la sainte Elisabeth dans les fresques de Ghirlandajo, au chœur de Santa Maria Novella, à Florence, notamment la sainte Elisabeth, au lit, dans la Naissance de saint Jean-Baptiste.
    Portrait présumé sans vraisemblance : le portrait de Femme inconnue, de face, par Verrocchio, à la galerie Lichtenstein, à Vienne.