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embu des commentaires. D’ailleurs, Botticelli défie l’exégèse. A-t-il voulu peindre ceci ? A-t-il voulu signifier cela ? Ses figures sont-elles des portraits ? Ses portraits sont-ils des allégories ? Ses allégories sont-elles les illustrations d’un poète ? Peut-être que oui, peut-être que non, et peut-être que oui et non tout ensemble ? Les savans sont des gens très exigeans : il leur faut des choses logiques, mais les pauvres artistes comme Botticelli se contentent de nous donner des choses belles.

Il a pu créer cette figure du Printemps par mille voies différentes. Il a pu commencer par une allégorie, et finir par un portrait. Il a pu tracer une étude d’après un modèle et transformer ensuite ce portrait en une allégorie. Il a pu tout simplement reproduire une fête, un bal costumé, donné par Simonetta… Qui peut dire ce qui se passe dans le cerveau d’un artiste, dans le mystère de la création, de la composition ? Quel étrange abus de mots, quelle présomption inouïe n’y a-t-il pas dans ce seul terme d’« identification, » quand l’auteur lui-même serait peut-être fort embarrassé de faire le départ de ce qu’il a vu, de ce qu’il a rêvé, de ce qu’il atteint sans le poursuivre, de ce qu’il a poursuivi sans l’atteindre, de ce qu’il a voulu, de ce qu’il a subi ! S’il était là et si nous l’accablions des questions dont on charge son œuvre, peut-être qu’il s’écrierait, les mains au ciel : Est-ce que je sais, moi !

Au fond, de tous ces portraits, vrais ou supposés, de toutes ces figures que s’acharnent à identifier les savans, il n’en est qu’une qui ait exactement la même construction que notre profil de Chantilly, et ce n’est pas un chef-d’œuvre. C’est la figure de l’Abondance peinte dans le coin droit de la chambre de sainte Elisabeth, à Santa Maria Novella. Cette figure est malheureusement mal dessinée et peu digne de Ghirlandajo. Elle n’est même pas très originale. Elle répète de profil une figure identique de Pollajuolo qu’on peut voir au petit musée du Dôme, dans le Paliotto d’argento. Mais comme elle est évocatrice ! Elle arrive en coup de vent dans la chambre d’Elisabeth, portant sur la tête un plateau gonflé de fruits comme un chapeau monumental qui serait fait d’une tourte, de raisins et de grenades entr’ouvertes, suivie par une écharpe liberty que le vent enfle en anse de panier, laissant pendre au bout de son bras gauche deux fiaschi ceints de cordes, la taille coupée par un gros pli bouffant, vêtue à la grecque, en couleurs claires. Du train dont elle