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consultation au sujet de la médecine à lui donner ; ils ont décidé qu’elle devait la prendre et ainsi fut fait. Nous ne pouvons dire quel bien cela fera, mais que Dieu exauce nos désirs !… Ces médecins ne sont pas d’accord sur les causes de la maladie. Maître Stefano a déclaré que ce n’était ni une fièvre hectique, ni de la consomption, et maître Moyse a soutenu le contraire… » Enfin, quelques jours après, Laurent le Magnifique, étant à Pise, reçoit la nouvelle redoutée : « Lame bénie de Simonetta est allée en paradis, lui écrit un de ses familiers. En vérité, on peut dire que ç’a été un second Triomphe de la Mort, car vraiment si vous l’aviez vue, comme elle gisait morte, vous l’auriez trouvée aussi belle et aussi gracieuse que vivante. Requiescat in pace ! »

C’est alors que se place le premier acte de ce culte qui ne devait pas finir. Au reçu de la nouvelle, Laurent sortit dans la nuit calme de printemps pour errer, çà et là, avec un ami, et, comme ils s’entretenaient de la morte, tout d’un coup il s’arrêta pour regarder une étoile qui ne lui avait jamais paru jusque-là si brillante. « Vois, s’écria-t-il, c’est l’âme de cette délicieuse femme ! Ou bien elle s’est changée en cette étoile nouvelle, ou bien elle s’y est jointe… » Et un autre soir du même printemps, comme il passait par les jardins d’une de ses villas, il observa un tournesol qui « le soir demeure la face tournée vers l’horizon occidental qui est celui qui lui a dérobé la vision du soleil jusqu’à ce que, au matin, le soleil reparaisse à l’Orient… » et il vit là une « image de notre destinée, quand nous venons à perdre un être que nous aimons, laquelle est de demeurer avec toutes nos pensées tournées vers la dernière impression de la vision perdue… »

Chose curieuse, cette impression dure encore. Morte depuis quatre siècles et demi, la belle Simonetta halluciné les critiques, affole les historiens, donne un semblant d’imagination aux chartistes… Ils croient la voir paraître et disparaître dans les vieux cadres des portraits, comme une figure aimée à toutes les fenêtres, ou entre tous les fûts d’une forêt, à tous les coins de fresque, à l’angle de toutes les chapelles, à demi enfumée par les cierges, à tous les recoins obscurs, à demi effacée par le plâtre de la vieille ville des lys et dans tous les musées du monde ! .. Toutes les fois qu’ils voient une figure de Botticelli, dont ils ne savent pas le nom, ils s’écrient : C’est elle ! c’est la belle Simonetta ! Ils croient la voir : tantôt présidant à la danse des grâces et à la