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droits et lourds, derrière sainte Elisabeth qui embrasse la Vierge. En face, sur la muraille opposée, dans ce groupe de gens du XVe siècle, au premier plan du saint Joachim chassé du temple, ils cherchent son jeune mari Lorenzo Tornabuoni.

Dès que les offices s’arrêtent, la longue théorie des visiteurs recommence à défiler et à épeler, dans toutes les langues du globe, les litanies de l’admiration. Ces dévots s’intéressent autant à la vie si vite tranchée de la belle Giovanna qu’à la scène de la Visitation, et il n’en est aucun qui ne soit plus touché par la fin tragique de Lorenzo Tornabuoni que par la mésaventure de saint Joachim… Ils célèbrent obscurément, à leur insu, ce culte sans rite et sans dogme qui réunit, dans une même communion, des âmes bien diverses : le culte des beaux types de l’humanité.

D’ailleurs, il importe peu pour quelle cause ces beaux types ont vécu : il suffit qu’ils aient vécu ardemment, passionnément, et pour autre chose qu’eux-mêmes. Notre goût pour les héros ne se mesure pas du tout aux harnais philosophiques dont ils se sont empêtrés ou dont ils ont voulu bâter les hommes. Savonarole a fait brûler les « vanités » dont Giovanna est parée ; il a fait ou a laissé décapiter Lorenzo : il a été brûlé à son tour, Les mêmes touristes qui étaient tout à l’heure, au couvent de Saint-Marc, à vénérer sa mémoire dans sa cellule, viennent ici vénérer la leur. Notre piété réconcilie sans effort tous ces héros qui se combattaient, qui se proscrivaient, qui croyaient détruire, en se détruisant, les passions humaines. Nous savons qu’ils poursuivaient un songe. Nous les aimons pour l’ardeur dont ils l’ont poursuivi.


II. — À CHANTILLY. — LA BELLE SIMONETTA[1]

Parmi ceux, en 1486, qui suivaient des yeux Giovanna Tornabuoni à son entrée dans le monde, beaucoup se rappelaient une autre reine des cœurs florentins dis parue dix ans auparavant, en pleine jeunesse, celle que nous voyons à Chantilly, dans la

  1. Portraits de Simonetta dei Cattanei, épouse de Marco de’ Vespucci, dite la Bella Simonetta.
    Authentique : le portrait de femme de profil peint sur bois, hauteur 0, 57, largeur 0, 42 dans la salle dite la Tribune à Chantilly, attribué à Pollajuolo. Présumés avec ressemblance : 1o la figure dite de l’Abondance, au coin de la Naissance de saint Jean-Baptiste, dans le chœur de Santa Maria Novella à Florence, et attribuée à Ghirlandajo ; 2o la figure dite de Vénus dans la Primavera de Botticelli, à l’Académie, à Florence ; 3o celle de Vénus dans le tableau dit de Mars et Vénus de Botticelli, à la National Gallery ; 4o celle de Vénus, dans la Naissance de Vénus, de Botticelli, aux Uffizi. Présumés sans aucune ressemblance : 1o le portrait de la Della Simonetta, attribué à Botticelli, au musée de Berlin ; 2o la figure de profil, dite portrait d’une femme et attribuée à Botticelli, au Staedel Institut, à Francfort ; 3o la Bella Simonetta du palais Pitti, attribuée à Botticelli, puis à l’inconnu, dit Amico di Sandro ; 4o la figure de la Chasteté, dans le Combat de l’Amour et de la Chasteté, à la National Gallery ; 5o celle de Procris dans la Mort de Procris, de Piero di Cosimo, à la National Gallery ; 6o la seule figure de jeune femme dont les cheveux soient visibles, représentée à genoux auprès de la Vierge de la Miséricorde, fresque de Ghirlandajo, au-dessus de l’autel ou « chapelle » des Vespucci, à l’église des Ognissanti, à Florence.