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viennent, des souvenirs de l’histoire de Florence sous la République. On se rappelle un autre aréopage devant lequel comparaît ce même jeune homme. C’est dans un vieux palais qu’il siège. Ce sont les Huit de la Paix. Nous sommes en 1497. Il y a onze ans que le jeune Tornabuoni a fait peindre cette fresque. Il y en a neuf qu’il a conduit Giovanna au tombeau de famille, à Santa Maria Novella. Depuis, la ville a changé de maîtres. Les Médicis ont été chassés de Florence. Nous sommes sous le règne de Savonarole. Le brillant « miroir de l’élégance » est resté dévoué à la famille qui fit son mariage : il est impliqué dans une conspiration pour le retour des Médicis. Un obscur comparse, un certain Lamberto de l’Antella, l’a dénoncé ainsi que quatre autres seigneurs. Il est arrêté, soumis à la torture de la corde. Quiconque était mis à la torture était perdu. On possède donc les aveux qui suffisent à sa condamnation, mais on discute indéfiniment la sentence. Toutes les juridictions se récusent successivement. Les Huit de la Paix renvoient les accusés à la Seigneurie qui les renvoie aux Huit, qui les renvoient devant le Conseil des Quatre-vingts, qui demande la constitution d’une Consulte. On sait que l’Italie est favorable aux accusés. On cherche des faux-fuyans. On envoie demander à une visionnaire, alors fort en vogue, ce que le ciel lui inspire. Elle répond qu’il lui a été révélé que le vieux Bernardo del Nero doit être jeté par la fenêtre. Mais les autres ? Qu’en fera-t-on ?

Pendant neuf heures consécutives, cent quatre-vingts juges, rouges de passion ou pâles de peur, enfermés dans le Palais Vieux et mis au secret, écoutent les rapports, parlent, discutent, mangent, — car il ne leur est pas permis de sortir de la salle avant d’avoir clôturé le débat, — tandis qu’au loin, du fond d’une cellule de San Marco, un moine terrible, le moine au profil de mouton, les fait mouvoir. On est au mois d’août, au mois des grandes chaleurs et des pestes. Le Palais Vieux ressemble à une chaudière où bout quelque chose d’infernal. Après cinq jours de discussions et d’atermoiemens, la sentence est arrachée par les violens aux autres : c’est la mort pour les cinq accusés, dont le plus âgé, Bernardo del Nero, a soixante-treize ans et le plus jeune, celui dont nous voyons ici l’image, vingt-neuf. On sait l’Italie tendrement émue pour cette noble tête, pour cette jeune tête de savant et d’humaniste, toute meublée des trésors de la Renaissance. Il faut mettre