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aristocratique, celui où l’on faisait les courses, le Palio, et d’où partaient le plus de chevaliers pour le carrousel. Nous pouvons donc retrouver, en nous y promenant, le fond coutumier sur quoi se découpait la fine silhouette de Giovanna, allant faire ses dévotions à San Piero Maggiore, — église dont il ne subsiste plus rien, marquée seulement par un reste de portique du XVIIe siècle, où on lit encore : DEO IN HONOREM. PRINCIP. APOSTOL. LUCAS DE ALBIZZI.

Mais ce portique, lui-même, a changé de destination et joue, au naturel, le rôle de ces ruines savoureusement dessinées par Hubert Robert. Une maison a poussé par-dessus, des boutiques l’ont bouché par-dessous et l’arc triomphal d’autrefois, travesti en une bête de somme, semblable à un gros éléphant serviable, arrondit aujourd’hui, sur les jarres de lait et les chapelets d’andouilles, la majesté de ses arcs, le haut latin de ses dédicaces et l’acanthe de ses chapiteaux. Le pied cherche inutilement les dalles qui recouvraient Lorenzo di Credi et Luca della Robbia, enterrés là. Tout a disparu et le rare pèlerin qui vient, sans s’égarer, dans ce coin de la vieille Florence, n’y peut être attiré que par le fantôme léger de la Bella Vanna.

Elle y a vécu toute sa jeunesse, dans la gloire et dans la lumière. Les joies intellectuelles l’éclairaient aussi. Elle était formée aux belles-lettres par un futur pape, Tommaseo Parentucelli. Ses admirateurs étaient Laurent le Magnifique et les plus grands peintres du XVe siècle, son promis le plus beau jouvenceau de Florence, le plus riche et le plus élégant cavalier. Il suffit pour s’en assurer de voir à Santa Maria Novella, — à gauche de la fresque de saint Joachim chassé du temple, — ce jeune homme qui se retourne vers nous, le poing droit sur la hanche, le bout du pied droit en avant, avec une désinvolte impertinence : grand érudit d’ailleurs, poète formé par Politien, fin connaisseur en médailles antiques : Lorenzo Tornabuoni.

Son mariage est un événement national. Arrangé par le roi de Florence, Laurent le Magnifique, il n’est point célébré à la paroisse de la jeune fille, mais à la cathédrale, à Sainte-Marie des Fleurs, où Giovanna paraît escortée de cent jeunes filles des plus grandes familles, parées de blanc, et de quinze jeunes chevaliers en armures de tournoi. L’ambassadeur d’Espagne auprès du Saint-Siège y assiste, ainsi que de nombreux chevaliers florentins et étrangers. La presse est