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Sans doute, il reste toujours quelque chose à désirer. Il reste ce point de dissemblance qui fait qu’aucune figure humaine n’a sa pareille mathématique parmi les quinze cent millions de faces qui respirent en même temps sur le globe ; mais nos portraitistes actuels l’attrapent si rarement, qu’en vérité le portrait ancien et fait d’après un autre rend, aussi bien que le nouveau, l’original vivant. De cela, tout le monde est d’accord et si quelqu’un conservait quelque doute, une rapide promenade dans les musées suffirait à le persuader.

Mais que dire de nos physionomies morales ? Nous appartiennent-elles en propre ? Ou furent-elles déjà observées dans le passé, avec leurs moindres nuances, telles que nous les voyons parmi nous ? C’est une pente invincible de notre esprit que de les croire nouvelles. Chaque génération a le sentiment qu’elle apporte au monde des curiosités, des appétits et des raffinemens, soit dans le rêve, soit dans l’élégance morale, soit dans le vice, que ses devancières n’avaient pas connus. Nous nous résignons encore à porter la même figure que nos pères, mais nous avons la vanité de nous être mis en frais d’une autre âme. Chacun de nous croit que le monde le voit pour la première fois… Et lorsque se dessine sur le fond gris de nos vies banales la silhouette inquiétante d’un sphinx, une figure qui émeut la foule par le mystère de ses aspirations, et par la perversité de ses attitudes, le sentiment général est qu’on se trouve en présence d’un produit bien spécial de son époque. Qu’y a-t-il de vrai dans cette hypothèse ?

Si nous regardions les portraits anciens, peut-être nous apprendraient-ils quelque chose ? Il y a un point sur le globe, et un moment dans la suite des temps, où chaque figure illustre a trouvé, pour la peindre, un maître artiste, où chaque destinée singulière a été résumée dans le cadre étroit d’un panneau, le tour d’un buste ou l’orbe d’une médaille. C’est Florence dans la seconde moitié du XVe siècle et dans la première moitié du XVIe. Les portraitistes de ce temps s’appelaient Botticelli, Ghirlandajo, Pollajuolo, Verrocchio, Mino da Fiesole, Donatello. Quels yeux pour voir et quelles mains pour perpétuer ce que les yeux avaient vu ! Ces témoins ne sont pas seulement grands : ils sont véridiques. Ils étaient déjà assez habiles pour faire ressembler leurs portraits à la réalité, pas encore assez pour les faire ressembler à une idée générale de la